article paru sur Agoravox
Il y avait urgence pour tous "les anarchistes qui s’inscrivent à une fédération" à venir entendre encore, pour une dernière ou une première fois, la voix de Pierre Debauche reliée à la terre et accrochée aux étoiles, dans l’enceinte de la salle du Conservatoire de Paris. Le Maître Daniel Mesguich invite son maître à lui, pour deux soirées exceptionnelles à renouer avec la lecture mise en scène de ses œuvres poétiques “exercice ni fait ni à faire, qui consiste à débuter quand on est presque mort”, comme il le dit devant une salle debout. Debauche a toujours eu le triomphe lucide donc modeste.
Il a été pour quelque soixante centaines d’acteurs et actrices depuis 50 ans l’éclaireur de leurs débuts, un immense phare dans la mer quelquefois dé-salée de l’arrogant et miséreux théâtre français, un connaisseur infini des partitions de la langue et leurs beautés déclamatoires. Ses mises en scène ont marqué des centaines de milliers de “vieillards sans courtoisie et fillettes sans chocolat”, spectateurs de “Ah Dieu que la guerre est Jolie” en 1972 à “Lear” en 2013, du Théâtre Sorano ou des Amandiers qu’il a fondés, parti sur les routes de Saint-Jacques avec ses élèves de l’école révolutionnaire de théâtre d’Agen. Admirateur et ami d’Antoine Vitez, enseignant tour-à-tour au Conservatoire de Paris et à la Comédie de St-Etienne à l’époque de Daniel Benoin, je me souviens qu’il nous lisait tous les lundis le manuscrit de “Flandrin, acteur” la pièce qu’il avait composée dans le train et créée par Daniel Mesguich à Lille l'année d'après, belle manière de commencer la semaine ; écoutons plutôt :
Je dois interroger pour savoir la coutume
Ciels, toits, puits, bras, mains, fronts, fruits, voix, cœurs, cris, chants, brumes,
Secrets qu’il faut fouiller avant d’oser entrer
Dans l’espace aboli où grogne le sacré.
Je mets ce vieux costume où des acteurs moururent
On y plaint des frissons, on y lit des blessures ;
(...)
Les anges d’ici-bas sont battus comme plâtre ;
Quelque chose a blessé la douceur du théâtre ;
Les acteurs effarés y perdent leur “par cœur”.
Saisis, les figurants miment d’antiques peurs,
Se remettent debout pour saluer la foule
Et chacun dans sa bouche a des larmes qui coulent.
Vous, pierres du chemin, vous les admirerez.
Ainsi par dignité, comme eux, vous pleurerez.
Accourez de partout, voyelles et consonnes,
Des gosiers déchirés, des gorges qui résonnent,
Vous, verbes du savoir, inventeurs de l’amour,
Qui nommez la lumière et la beauté du jour,
Vous, les seize sons purs des voyelles qui dansent
En se posant les cris du cœur de notre enfance,
Voyelles du printemps quand l’hiver se dédit,
Voyelles du matin quand la nuit s’arrondit,
Grondez, vibrez, marquez ce monde inhabitable,
Petit troupeau des A qui trois fois trop aimables
Feriez croire au bonheur les soirs de pauvreté.
(...)
Les écoliers sont ils tous morts à Oradour ?
Leur œil fut effacé des tableaux noirs du jour
À vivre et des beautés dont il fallait s’éprendre
La leçon est finie et “l’instit” est à vendre.
Bousillés les plumiers, salis les tabliers
Et les plumes sergent-major dans les charniers.
(...)
J’ai fini de jouir, le cheval a henni.
Merci merci merci, lamma Sabacthani”
Larmes dans la salle. Steiner n’aurait pas dit mieux.
Et ce monument, dont la volonté farouche est celle de ne rester
qu’un homme libre, était là, debout, fragile et nu, mais à la voix de
marbre, comme on l’est bellement à l’arrivée d’un marathon de 70 ans de
théâtre. Avec humour, surprise et colère intacte.
Qui est ce Pierre Debauche, disait Mesguich dans la préface aux
Sensations insolentes, “un érudit, un fou, un juif ?”. Cet être
insaisissable et insatiable, comme devaient l’être Maeterlinck ou
Michaux, manque cruellement aux rayons des étagères entre ces deux-là,
lui qui n’a jamais eu les honneurs de la NRF-Gallimard (un oubli éhonté)
n’a que faire des insignes de la république des orgueilleux. Il aura
par trop souvent, et volontiers, affronté les institutions et arpenté
les plateaux avec la dimension intellectuelle d’un Strehler, in situ,
sous les tentures et sur les tréteaux, à la suite de Jean Dasté, présent
dans les diagonales du vide où le théâtre était absent, et pas dans les
dîners en ville ou les “In” d’Avignon, festival chevelu, parvenu et
trop snob à son goût.
Conservatoire de Paris, Lundi 6 mai 2013 |
Les lundi 6 et mardi 7 mai 2013,
2, bis rue du Conservatoire, Paris IX°,
entrée libre sous réservation.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Debauche
http://theatredujour.fr/
L'Ecole créée à Agen qu'il dirige depuis 1994
http://theatredujour.fr/le-theatre-ecole-daquitaine
http://www.cnsad.fr/site/page/accueil
Merci aux éditions du tarin d’avoir édité sous forme de trois petits cahiers données à l’entrée du Conservatoire les 77 poèmes de Pierre Debauche dits lors de cette soirée.
Merci à Daniel Mesguich.
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