vendredi 19 juillet 2013

Citer Roland Barthes

"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.
 
La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté.“
 
Roland  Barthes. 




"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.

La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté."

Roland Barthes.

dimanche 7 juillet 2013

Superman désenchanté






Superman, le film, en 1979 a été pour moi un moment de merveilleux dans ma vie. J'avais tout juste onze ans. Pour le petit garçon que j'étais, qui n'allais pas souvent au cinéma car c'était trop cher, le spectacle de la puissance incarnée, qu'elle soit physique ou spirituelle, qu'elle soit politique, avait quelque chose de fascinant.


Me revoilà donc saisi de nostalgie, car il n'est pas sûr que je fusse motivé à dépenser 10 € 70 cts (pour 68 Francs à l'époque on avait deux albums 33 tours) si je n'avais été autrefois le spectateur ébaubi, pleurant de joie aux exploits humanitaires de Superman, et qui fus bien déçu par ailleurs de savoir qu'il s'appelait en fait Christopher Reeves. Car je croyais à Superman.Tout comme si le Père Noël s'était appelé Bertrand Lajoie. Je pouvais me rappeler toutes les scènes du film tant l'identification avait été forte. Le spectacle de la virilité, façon Casques-bleus, décillaient mes yeux naïfs ; et les américains ont à peu près tous onze ans, de ce point de vue...


En cet été 2013, je voudrais bien savoir comment un enfant de onze ans peut regarder ce film et s'identifier à ce super-héros, sans être pris des nausées qu'on ressent après une orgie de sucre. La musique du film n'est qu'une bande-son cosmétique à côté de l'orchestre de Williams en 1979. Le scénario s'est voulu novateur du point de vue de la psychologie du protagoniste, un peu plus fouillée que dans l'original. Clark Kent torturé, est conscient de la mission colossale qui pèse sur ses épaules larges et mieux body-buildées que chez le créateur du rôle. 


Le montage résolument moderne, entendez hystérique, avec des effets spéciaux à profusion et une succession de séquences sur les vingt premières minutes du film. Tellement que lorsqu'on arrive sur Terre avec des plans de plus de 3 secondes, on croit respirer à un rythme normal. Le jeu des acteurs millimétrés est clinique. Tant que l'on se demande si ce sont bien des acteurs qui jouent ou des images de synthèse qu'on fait jouer. Tant et tant de travellings et d'effets de profondeur spectaculaires que l'on se demande, au fond, si l'on n'est pas plutôt en train de mater un jeu vidéo... 


Est-ce encore du cinéma ? (Ai-je l'air d'un vieux con ?)

Voilà peut-être, hélas, la nouvelle loi du genre contemporain, qui dresse d'abord un film au rang de bonne soupe recyclable pour ses investisseurs financiers. La forme prédomine alors tellement sur le fond et celle-ci est ainsi colorée et mouvementée que l'identification devient impossible. Elle laisse à bonne distance même les plus adhérents, comme moi. Quelle est encore la part du rêve, l'espace du spectateur, le respect de son imagination ?


Du fascinant au fascisant

Sur ce fond inexistant et même régressif, où l'humanité est réduite à dépendre d'un messie pour résoudre ses problèmes de sécurité, j'oserai dire que ce Superman-là, Man of Steel, aux allusions bibliques plus explicites (on adore les vitraux appuyés, derrière le curé, où l'on a loisir de contempler des pans entiers de la vie de Jésus) et à la narration ô combien plus téléologique que l'original, que malgré tous ces efforts d'humanisation du personnage qu'on sent bien, il y a là quelque chose de fascisant sur la forme. Surenchère de démonstrations de puissance, destruction permanente d'un monde qui paraît bien menacé alors que l'Armée et sa capacité technologique y est omniprésente.

Le scénario confié à M. Nolan, très en veine en ce moment, ne doit pas être très épais, car les séquences de batailles rangées où les coups et les tirs sont offertes au kilomètre.


Umberto Eco a raison de rappeler dans son article "Les forteresses de la solitude"*, que Superman a besoin de temps en temps de se retrouver dans son repaire, revoir les objets témoins de son histoire, un musée personnel de glace où personne ne peut aller. Or, ce temple est immédiatement profané dans le film de Zack Snyder...

Le co-protagoniste Général Zod, on le sait depuis la première séquence sur Krypton, est méchant. Il a admiré le père de Kal-el, Jor-el, mais il l'a tué et a été condamné (ce qui est mieux amené que dans le premier film où tout cela restait ésotérique dans la séquence fameuse avec Marlon Brando.) Il fera obstacle aux destinées de Kal-el sur terre, c'est annoncé et on n'est pas surpris. Tout est mâché on vous dit, ne réfléchissez plus. L'obstacle Zod est tragiquement victime de son destin, ou de sa programmation génétique, alors que Superman lui a réussi par l'adoption des terriens qui l'aiment, à dépasser sa destinée première et ses origines ; ça c'est beau, mais il faut gratter. 

Pessimisme encore car nulle médiation possible avec des extra-terrestres prompts à demander la reddition en guise de bonjour. On comprend vite aussi, à voir la gueule des militaires américains toujours au premier plan, que tous les terrestres ne sont pas non plus extra ! Trève de plaisanterie, dans les dialogues on entend même des refrains tristement célèbres du genre "...pour un seul que tu sauveras, on en tuera des millions...", qui nous les fait entendre comme certains slogans entendus de part et d'autre du Mur de sécurité. 

La musique de John Williams en 1979, je le sais aujourd'hui, avait été honteusement pompée sur le "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss ; mais cela avait un sens plus spirituel, via le surhomme Nietzchéen. Restée célèbre, elle avait laissé une empreinte fort durable dans mon esprit, alors que je ne l'avais entendue qu'une fois. Pas de magnétoscope à cette époque-là ni de B.O disponible dans les bacs.

Donc oui, fascisant, ou tout au moins martial et total paranoïde. 

L'Autre, l'Etranger, l'extra-terrestre, est une menace mortelle qu'il faut anéantir. Un virus. Pas l'ombre d'une quelconque "humanité" ni de lumière dans les yeux des ennemis, à aucun moment, si ce n'est la lumière bleue qui découpe le métal.

Bonjour vous, petits enfants qui êtes égarés dans cette salle, préparez-vous à affronter ce monde violent ! Les images et la bande-son, assourdissante, tonitruante, s'il en fallait une, le disent. Rien n'est doux, tout est rapide, le ryhtme est d'enfer. De toute façon, vous êtes habitués...

Une chose est sûre, si j'avais vu Man of Steel en 1979, j'aurais fait des cauchemars pour des années.


*Eco : La Guerre du faux, Grasset, 1985, Livre de poche


* Je ne saurais trop conseiller aux exploitants de salles de ne pas toujours utiliser leurs amplificateurs à leur maximum, à moins qu'il ne veuillent se spécialiser, dans un futur proche, dans l'accueil des spectateurs malentendants ; et ça, ça ne sera pas de la science-fiction.

Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017