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mercredi 9 avril 2014

Souvenir d'un Don Carlo (concours littéraire de l'Opéra de Paris)

Je publie ma participation au concours littéraire de l'Opéra de Paris. Voici mon hommage aux acteurs lyriques, à la grandeur tragique de leurs personnages, à la mise-en-scène d'opéra et à ses lumières souvent fabuleuses.
Il est dédié à une scène que j'ai eu la chance de voir répétée puis chantée des dizaines de fois, devant moi, à quelques centimètres de moi. Etaient réunis cet homme que je trouve admirable, le baryton Ludovic Tézier et le ténor italien le sympathique Stefano Secco.


Où scintillent les Hommes
(réminiscence d'un Don Carlo)
 

Une onde, un flot sonore, comme une mer qui vient mourir sur les flancs de la prison. Un rideau s’ouvre sur le suintement des murs. Les violoncelles le disent qui transpirent eux aussi. Ce monde sans liberté est souterrain où les complots s’ourdissent. Une clarinette se rappelle à l’espoir de Carlo enchaîné. Nulle colombe, rien au soupirail. Un bleu nocturne le dispute à l’obscurité du drame. Qui donc allait advenir ? Verdi nous suggère qu’une dernière porte s’ouvre sur la nuit.


Devant l’huis sombre, colossal de douceur et de paix, le Marquis de Posa s’avance le long d’une raie de lumière et découvre son ami. Une dépouille. Un lambeau d’homme placé aux fers. Quel effroi. Que t’ont-ils fait ? La voix de l’ombre porte sa lumière de baryton. Le messager de la Flandre tend le bras. Il se prépare à ces déchirements dont on ne revient pas. Seules les cordes font vibrer l’air chaud. Le ténor a des inflexions douloureuses qui nous suspendent à son chant, à la fois larmes du présent et sourire des années passées ensemble. Cette ligne de crête fragile, la justesse d’un orchestre donné piano et la rondeur cristalline des deux voix, me laissent dans une sidération que je ne crus jamais éprouver.

Je me retourne un instant ; et alors que je me croyais seul au monde, créateur de cette scène, rêveur privilégié de cette histoire, pas un spectateur ne manque à l’appel : la salle de la Bastille se soulève d’une même poitrine. Nous sommes sublimés par le chant de liberté et de fraternité de Carlo et de Rodrigo, de Stefano Secco et Ludovic Tézier. Ils vivent sous nos yeux ce que vivent deux amis que la mort ou le devoir séparent un jour. Nous étions avec eux. Nous sommes eux.

À partir de ce moment, Ludovic qui chante Posa tient son ami Stefano qui chante Carlo par un long souffle qui jamais ne semble finir. «Il convient ici de nous dire…». Mais Posa ne trouve pas les mots, ou n’ose les prononcer. Son hésitation résonne comme un balbutiement d’éternité. Il ouvre par ce silence un dialogue, entre le chant de l’homme et le silence de dieu. Les cordes alors accompagnent ces paroles qui n’adviennent pas ; de celles qui contiennent l’amour de l’un pour l’autre. Il convient ici de se dire adieu. C’est dit.

Posa pose alors pas-à-pas, jusqu’à nous, chaque syllabe dans la lumière du couloir, en ce jour suprême. Ses harmoniques nous enveloppent. Comme seul il est possible à l’opéra, une bulle se forme autour de lui. Et c’est à ce moment-là du serment de Posa qu’un éclat nous replonge : un arquebusier caché. Plus jamais ils ne se reverront.

C’est le mot de l’Opéra, ça : Jamais. Giammài. Le tireur habile que Verdi a placé là prive Rodrigue de ses projets de paix, et Carlo de son meilleur ami. Carlo engeôlé le cajole encore, lui tient la tête, la lui caresse. Peut-être.

La terre se dérobe sous nos pieds. Ma voisine laisse tomber son programme. L’opéra se grave dans le cœur à faire entendre le souffle de chaque être. Angélique, abominable, vainqueur. Blessé, désespéré, amoureux…

Le Marquis de Posa redevenu Rodrigo, un temps si altier, redevenu à temps pauvre humain, accuse un effort haletant. Plus tout à fait vivant, pas encore éteint. La plus haute vibration de sa voix envahit soudain la salle : il faut sauver la Flandre. Le baryton se redresse, tremblant, halluciné, cherche le regard de son ami. Un «Ah !» abrupt, tranché dans son envol, ouvre sur le néant : douleur adamantine de qui perd la vie, il nous laisse au bord du précipice. «Ah !».

Sa grande résonance dans le vide me parvient encore aujourd’hui. La paix du sépulcre a vaincu, nous sommes orphelins, viva Verdi.




 2011, à Paris-Bastille.

Merci à mon ami Benito Pelegrín : c'est bien un arquebusier qui tire sur Rodrigo et non le "spadassin" qui a concouru, lequel n'aurait pas le bras assez long... car c'est ainsi que Verdi a annoté sa partition.

lundi 18 novembre 2013

Commico Squatt' (en compétition pour la Nouvelle Edilivre 2014)

J'ai été ému de savoir que des citoyens à Paris plutôt jeunes et dans une situation précaire investirent un local public désaffecté et s'en trouvèrent délogés manu-militari.

J'en ai retiré une nouvelle qui entrait assez bien dans le cadre du concours Edilivre 2014 de la nouvelle sur le thème du Pouvoir. Ce texte concourt donc, qui n'est que la traduction personnelle de cet épisode vécu par le CoOlectif du bonheur.

Voici ma fiction, et ci-après, la vidéo des événements.

 Commico Squatt'


- Paris, XVIII°.

- Siècle ?
- Arrondissement…


Antonin Sire, porte-parole du collectif «Associations d’idées» s’accrochait à la rampe d’escalier, tenaillé par deux agents. Face à l’impuissance des pouvoirs publics à fournir un peu d’espace, son collectif clamait « Nous, on peut ! ». Ils purent alors occuper les locaux d’un vieux commissariat désert en plein Paris. Mais le conte de noël où Antonin avait emmené ses amis se terminait là où il avait commencé. Son portable, lui, demeurait aussi en garde-à-vue pour identification…


Mais reprenons le cours du récit : Il est tard, l’hiver est glacial. Les agents ont froid et n’ont qu’une idée en tête : pénétrer. Réinvestir ce commissariat occupé, restaurer le primat du beau, du bon, du bien. Reprendre l’espace occupé par des squatteurs, le bien de la république, mesdames-messieurs. En haut lieu, les sphères du pouvoir s’entrechoquent, mais en silence. Toujours. Préfet et Procureur se disputent le Droit. Deux chiffonniers en habits feutrés :


- Les squatteurs sont réfugiés dans l’espace de la république depuis plus de quarante-huit heures, M. Le Préfet, vous n’avez pas le pouvoir d’intervenir, et ils restent sous mon autorité.

- Pensez aux répercussions médiatiques, M. Le Procureur, les jeunes ont les rieurs de leur côté.

- Vous connaissez donc leur âge ?

- Non, mais je disais «jeunes», comme ça… imaginez-vous que le Pouvoir soit plus longtemps moqué, et par une bande de squatteurs qui croit au Père-noël en plus, qui voudrait... se réchauffer dans un commissariat, non…



L’autorité, dans un geste fumant, fait alors déplacer quatre fourgons de tortues romaines, carapaçonnées, en formation. Des stagiaires qui squattent un scaphandre, jusqu’à nouvel ordre. Mais l’ordre ne vient pas, et le froid saisit les fonctionnaires aux commissures. Il s’en plaignent.

Au cours de ces deux jours où tout allait pour eux comme en rêve, le collectif des «Associations d’idées» organisait son ministère à l’intérieur : tableaux, café, bureaux, trombones pour la fanfare. Tout marchait. L’eau, le chauffage. On avait même installé un baisodrome dans la salle d’interrogatoire. Quand on a le luxe, pourquoi pas la luxure…

Au plus fort de la confrontation, l’association, toujours soucieuse d’humanité partagée, fit porter au-dehors par la fenêtre entr’ouverte quelques plateaux pour les agents torturés par la glace, immobiles devant le portail fermé. Le gôuter de café et de croissants chauds fut accueilli par quelques bravos républicains, vite réprimés. À travers l’huis de la porte, le négociateur finit par demander poliment la clef du commissariat aux jeunes du collectif, la hiérarchie ayant perdu les doubles…

S’engage alors, comme toujours en pareil cas, un véritable bras-de-fer, avec exigences et garanties, pressions psychologiques et ultimatum de part et d’autre. Les clefs pour les uns, de l’espace et la liberté pour les autres. Pour lesquels, allez savoir. L’association se trouvait enfermée à l’intérieur par la police qui, elle, se trouvait expulsée. Laissez-nous sortir ! Laissez nous rentrer ! Les deux parties, chacune de leur côté, pensaient à invoquer l’article 432 pour « privation arbitraire de la liberté de circuler »... La situation devenait homérique.

À dix-sept heures incandescentes, voyant que la nuit allait tomber et faire sortir les premiers loups de leur tanière, on fit venir un bélier. Sur ordre du Préfet contre celui du Procureur, le pouvoir impuissant envoie les forces de l’ordre : elles pénètrent le commico par effraction.

On avait rarement vu tel acharnement et tel plaisir à la tâche contre un bâtiment de la police. Un défonçage réalisé avec netteté et précision. Du grand art dans la reprise en main des locaux, propriété de tous. D’abord, se jeter sur les portables. Ils recèlent plus d’informations que tous les interrogatoires ne pourraient en livrer. On pourrait même à l’occasion jouer à Drive-circuit avec les Iphone saisis, si ça durait encore. Une jeune femme rétive, qui n’avait pas éteint le sien, est alors alpaguée par une tortue et se fait démonter l’épaule. En douceur toutefois, par égard pour son sexe. Le service public se muait en sévice public. Vol avec violences en réunion, dégradations du matériel de l’Etat... les chefs d’inculpation s’alourdissaient d’heure en heure pour tout magistrat dont les dents rayeraient le parquet. Le vieux commissariat de quartier, de désaffecté à défoncé, rouvrait. Coûte que coûte, même dans l’illégalité, et c’est ce qui importait. La commissaire exultait. De la proximité !

Au Quai, même les chaises avaient la gueule défoncée de ceux qui entament leur troisième journée de garde-à-vue. La noria des équipes de relève donnait l’illusion que des bataillons de milliers de képis se succèdent ici jour et nuit et passent d’une tête à l’autre. Seules les impatiences des enfants perdus redonnaient à cette drôle de crèche des couleurs chatoyantes. Sûr de son fait, légitime comme un pape, Antonin Sire ne regardait ni les marches ni les murs cradingues qui lui bornaient l’horizon et le menaient aux cellules où tant d’autres avait dégrisé. Il ne voyait que son œuvre de salubrité publique. Le pouvoir des citoyens sur leur cadre de vie.

Il avait régné, dans son commissariat du XVIII°, recyclé en Maison du peuple avant que l’escadron ne débarque les pacifistes subversifs, une ambiance bon enfant ; à laquelle le craquement subit d’une porte volant en éclats mit fin. Situé le long d’un petit canal parisien, on y entrait libre pour assouvir une envie des grands soirs, dans ce commissariat où la possibilité du bonheur reprenait ses droits. Croyait-on… Ce joyeux local investi par des fauteurs d’ordre public établi, était d’un tout autre acabit que le 36 quai des orfèvres. Il résistait, délaissé mais ouvert, vaillant, beau comme une cabane de garde-champêtre, où fleurs et champignons remplaçaient avec bonheur graffitis et chewing-gum collés. Tout en cette bâtisse exhalait un parfum de vieille dame presque moisie, qui aurait bien vécu. Drames et joies, démissions, soirées au champagne, visites inopinées des huiles dans le fracas des drapeaux. Le petit escalier, l’épaisseur des couches de peinture ajoutées les unes aux autres, la chaleur des boiseries, la façon «maison» des murs tout de guingois, les vitres années 50, soufflées à la main, les chevillettes plus âgées encore que les services historiques, conféraient à cet ensemble un air de famille propice aux confidences librement consenties.

Détenu au «36», Antonin Sire avait beau convoquer toutes les ressources de son esprit, il n’avait pu passer par l’arrière-cour de ce décor de polar sans être saisi par le dégoût des effluves où domine le concours des misères humaines les plus crasses. Il y reconnut la moiteur des nuits sans espoir de soleil, des espérances déçues de ceux qui ont perdu leurs clefs. Ici, faire la lumière sur les faits commençait par l’obscurité. Celle des puits, aux rares soupiraux, exerçait sur les yeux une mise en condition préalable. Nul peintre n’y avait jamais officié. D’odeur, aucune où raccrocher un sentiment de vie. Nul chef n’y avait jamais été formé. Le 36 était une sorte d’hôpital où l’on pouvait même se blesser.

Il avait fallu la grâce d’un lieutenant-major pour que la discussion avec les autorités reprissent une tournure normale. Il avait compris. Ne pas haïr. Comprendre les deux parties. La situation était nouvelle pour tout le monde et il valait mieux que tout cela ne se sache pas. Et puis, à Noël… pas de bavure.

L’opération s’était achevée normalement à la fois sous les acclamations du crémier et sous les sifflets de la population divisée du quartier. La bouchère nymphomane et l’instituteur à poils longs ne produisaient pas le même son. Le livreur de pizza avait préféré passer sa route avec célérité, craignant pour sa marchandise. Le pouvoir avait mis les points sur les i. Il ne vacillait pas sur ses assises, la force restait à l’Etat, le dernier mot revenait à l’ordre. La loi, en bonne fille, saurait fermer les yeux. On rentrait chez soi... l’hiver sonnait aux clochers jaunis.
___________________________________©BenoîtRivillon2013____________


Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017