vendredi 19 juillet 2013

Citer Roland Barthes

"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.
 
La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté.“
 
Roland  Barthes. 




"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.

La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté."

Roland Barthes.

dimanche 7 juillet 2013

Superman désenchanté






Superman, le film, en 1979 a été pour moi un moment de merveilleux dans ma vie. J'avais tout juste onze ans. Pour le petit garçon que j'étais, qui n'allais pas souvent au cinéma car c'était trop cher, le spectacle de la puissance incarnée, qu'elle soit physique ou spirituelle, qu'elle soit politique, avait quelque chose de fascinant.


Me revoilà donc saisi de nostalgie, car il n'est pas sûr que je fusse motivé à dépenser 10 € 70 cts (pour 68 Francs à l'époque on avait deux albums 33 tours) si je n'avais été autrefois le spectateur ébaubi, pleurant de joie aux exploits humanitaires de Superman, et qui fus bien déçu par ailleurs de savoir qu'il s'appelait en fait Christopher Reeves. Car je croyais à Superman.Tout comme si le Père Noël s'était appelé Bertrand Lajoie. Je pouvais me rappeler toutes les scènes du film tant l'identification avait été forte. Le spectacle de la virilité, façon Casques-bleus, décillaient mes yeux naïfs ; et les américains ont à peu près tous onze ans, de ce point de vue...


En cet été 2013, je voudrais bien savoir comment un enfant de onze ans peut regarder ce film et s'identifier à ce super-héros, sans être pris des nausées qu'on ressent après une orgie de sucre. La musique du film n'est qu'une bande-son cosmétique à côté de l'orchestre de Williams en 1979. Le scénario s'est voulu novateur du point de vue de la psychologie du protagoniste, un peu plus fouillée que dans l'original. Clark Kent torturé, est conscient de la mission colossale qui pèse sur ses épaules larges et mieux body-buildées que chez le créateur du rôle. 


Le montage résolument moderne, entendez hystérique, avec des effets spéciaux à profusion et une succession de séquences sur les vingt premières minutes du film. Tellement que lorsqu'on arrive sur Terre avec des plans de plus de 3 secondes, on croit respirer à un rythme normal. Le jeu des acteurs millimétrés est clinique. Tant que l'on se demande si ce sont bien des acteurs qui jouent ou des images de synthèse qu'on fait jouer. Tant et tant de travellings et d'effets de profondeur spectaculaires que l'on se demande, au fond, si l'on n'est pas plutôt en train de mater un jeu vidéo... 


Est-ce encore du cinéma ? (Ai-je l'air d'un vieux con ?)

Voilà peut-être, hélas, la nouvelle loi du genre contemporain, qui dresse d'abord un film au rang de bonne soupe recyclable pour ses investisseurs financiers. La forme prédomine alors tellement sur le fond et celle-ci est ainsi colorée et mouvementée que l'identification devient impossible. Elle laisse à bonne distance même les plus adhérents, comme moi. Quelle est encore la part du rêve, l'espace du spectateur, le respect de son imagination ?


Du fascinant au fascisant

Sur ce fond inexistant et même régressif, où l'humanité est réduite à dépendre d'un messie pour résoudre ses problèmes de sécurité, j'oserai dire que ce Superman-là, Man of Steel, aux allusions bibliques plus explicites (on adore les vitraux appuyés, derrière le curé, où l'on a loisir de contempler des pans entiers de la vie de Jésus) et à la narration ô combien plus téléologique que l'original, que malgré tous ces efforts d'humanisation du personnage qu'on sent bien, il y a là quelque chose de fascisant sur la forme. Surenchère de démonstrations de puissance, destruction permanente d'un monde qui paraît bien menacé alors que l'Armée et sa capacité technologique y est omniprésente.

Le scénario confié à M. Nolan, très en veine en ce moment, ne doit pas être très épais, car les séquences de batailles rangées où les coups et les tirs sont offertes au kilomètre.


Umberto Eco a raison de rappeler dans son article "Les forteresses de la solitude"*, que Superman a besoin de temps en temps de se retrouver dans son repaire, revoir les objets témoins de son histoire, un musée personnel de glace où personne ne peut aller. Or, ce temple est immédiatement profané dans le film de Zack Snyder...

Le co-protagoniste Général Zod, on le sait depuis la première séquence sur Krypton, est méchant. Il a admiré le père de Kal-el, Jor-el, mais il l'a tué et a été condamné (ce qui est mieux amené que dans le premier film où tout cela restait ésotérique dans la séquence fameuse avec Marlon Brando.) Il fera obstacle aux destinées de Kal-el sur terre, c'est annoncé et on n'est pas surpris. Tout est mâché on vous dit, ne réfléchissez plus. L'obstacle Zod est tragiquement victime de son destin, ou de sa programmation génétique, alors que Superman lui a réussi par l'adoption des terriens qui l'aiment, à dépasser sa destinée première et ses origines ; ça c'est beau, mais il faut gratter. 

Pessimisme encore car nulle médiation possible avec des extra-terrestres prompts à demander la reddition en guise de bonjour. On comprend vite aussi, à voir la gueule des militaires américains toujours au premier plan, que tous les terrestres ne sont pas non plus extra ! Trève de plaisanterie, dans les dialogues on entend même des refrains tristement célèbres du genre "...pour un seul que tu sauveras, on en tuera des millions...", qui nous les fait entendre comme certains slogans entendus de part et d'autre du Mur de sécurité. 

La musique de John Williams en 1979, je le sais aujourd'hui, avait été honteusement pompée sur le "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss ; mais cela avait un sens plus spirituel, via le surhomme Nietzchéen. Restée célèbre, elle avait laissé une empreinte fort durable dans mon esprit, alors que je ne l'avais entendue qu'une fois. Pas de magnétoscope à cette époque-là ni de B.O disponible dans les bacs.

Donc oui, fascisant, ou tout au moins martial et total paranoïde. 

L'Autre, l'Etranger, l'extra-terrestre, est une menace mortelle qu'il faut anéantir. Un virus. Pas l'ombre d'une quelconque "humanité" ni de lumière dans les yeux des ennemis, à aucun moment, si ce n'est la lumière bleue qui découpe le métal.

Bonjour vous, petits enfants qui êtes égarés dans cette salle, préparez-vous à affronter ce monde violent ! Les images et la bande-son, assourdissante, tonitruante, s'il en fallait une, le disent. Rien n'est doux, tout est rapide, le ryhtme est d'enfer. De toute façon, vous êtes habitués...

Une chose est sûre, si j'avais vu Man of Steel en 1979, j'aurais fait des cauchemars pour des années.


*Eco : La Guerre du faux, Grasset, 1985, Livre de poche


* Je ne saurais trop conseiller aux exploitants de salles de ne pas toujours utiliser leurs amplificateurs à leur maximum, à moins qu'il ne veuillent se spécialiser, dans un futur proche, dans l'accueil des spectateurs malentendants ; et ça, ça ne sera pas de la science-fiction.

dimanche 30 juin 2013

Le temps de l'écriture



Je fais cette brève note à l'égard des quelques lecteurs de ce blog. Il y en a, bien que je ne les connaisse pas : tout blog est un miroir sans tain. La seule trace qu'ils laissent est ce compteur de visites en bas, à gauche. Depuis septembre 2012, 2600 visites. Pas mal pour un blog littéraire sans prétention et sans communication...

Tout écrivain, qu'il soit en herbe ou confirmé, découvre au fil de la plume sa façon bien personnelle de fonctionner, de se rapporter au temps qui se découpe, comme les choses se construisent chez lui, à son propre insu. C'est ainsi que les périodes d'écriture sont chez moi dépourvues de lectures. Et vice-versa. C'est compartimenté comme ça dans mon esprit et je ne saurais vous expliquer pourquoi. A tel point que je ne peux produire de fiche de lecture en temps d'élaboration littéraire personnelle. C'est bien tout ce que je peux révéler. Je peux vous dire que c'est passionnant, d'écrire. Si j'en dis plus c'en sera fini de mon projet, il tombera en pure poussière de velléité. J'ai su que les peintres avaient ce symptome du dévoilement impossible. Dès que la toile est présentée, le travail s'arrête. Je ne peux donc rien dire de mon projet en cours d'écriture.


Je peux en revanche réveler ce qui est abouti.
Après le petit "Autrefois Outrebois" disponible en librairie, petit récit d'introduction à la littérature et la musique par le retour aux humus des forêts d'antan, je me suis attelé à la construction d'un roman noir, aujourd'hui achevé dans son écriture mais qui n'a pas encore trouvé  son éditeur, eh non...


Les Mauves


J'en donne ici un aperçu des 20 premières pages 
ça pourrait m'éviter d'envoyer un manuscrit lourd, coûteux et chronophage à une éditeur, 
en admettant que l'un d'eux vienne lire ce blog, bla bla...


Je vous fais le pitch  :

Retour de vacances peu ordinaire :
Walter, jeune directeur d'un fonds d'investissement 
et son épouse la jolie Sophie
prennent deux individus en stop.
 
Ils n'auraient jamais dû...


J'enverrai par la Poste ce texte à quelques maisons sérieuses dont je peux déjà révéler le nom :
    • Sabine Wespieser
    • NIL
    • Tristram
    • La Différence
    • JC Lattès
    • La Fosse aux ours
    •  L'Arpenteur, Gallimard
    • Élan Sud
    • Alma éditeur
    • Naïve
    • L'iconoclaste
    • Des vanneaux
    • Du Sonneur
    • La Part commune
    • Editions du moteur

    J'aurai de leur part une réponse avant le début du mois de septembre 2013 (quoique j'aie dû attendre 19 mois qu'une maison me rende son avis sur un texte, record battu, mais réponse tout de même).
     

    Le fichier numérique auto-édité :

     
    Concernant les possibilités d'auto-édition sur Amazon KDP, ou d'autres sites (Fnac Kobo, Lulu, etc...) quelques questions se posent : Est-ce que ces sites doivent devenir le receptacle des rebuts ? Combien de maisons d'éditons pourront-elles recycler à l'infini de vieux manuscrits jamais édités, dont les vrais auteurs auront disparus ? Comment justifient-t-ils de leurs ventes réelles et donc des dividendes versées aux auteurs publiés ?

    De plus, je suis très réticent à l'idée d'offrir mon travail à la plate-forme Amazon d'auto-édition (KDP). L'attitude peu éthique de fraudeur fiscal patenté de cette société, révélée sur France 2 dans le reportage de juin 2013 d'Elise Lucet consacré aux exemples de fraudeurs fiscaux, m'ayant raidi contre cette méga-société mangeuses de libraires et de recettes fiscales de tous les pays dans lesquelles elle s'installe à coup de subventions. 
    Amazon court-circuite les circuits traditionnels de distribution du Livre, tout comme elle court-circuite les circuits fiscaux de re-distribution ? Alors court-circuitons les court-circuiteurs... nous sommes consommateurs donc co-responsables de cette situation. En France, cette concurrence déloyale ferme une librairie par mois.

    Préférons-leur le circuit-court, aller en bas de chez soi quand on le peut et si l'on habite la campagne ou la montagne (quelle chance) on peut commander ses livres et disques sur le site Place aux libraires qui fera travailler un libraire qui tient boutique et paie ses impôts, lui ! 


    Bonne lecture, n'hésitez pas à me donner votre premier avis de lecteur face à cette cruelle histoire. Place aux vrais éditeurs et Place aux libraires !

mardi 7 mai 2013

Pierre Debauche, Maître ès-liberté


Il y avait urgence pour tous "les anarchistes qui s’inscrivent à une fédération" à venir entendre encore, pour une dernière ou une première fois, la voix de Pierre Debauche reliée à la terre et accrochée aux étoiles, dans l’enceinte de la salle du Conservatoire de Paris. Le Maître Daniel Mesguich invite son maître à lui, pour deux soirées exceptionnelles à renouer avec la lecture mise en scène de ses œuvres poétiques “exercice ni fait ni à faire, qui consiste à débuter quand on est presque mort”, comme il le dit devant une salle debout. Debauche a toujours eu le triomphe lucide donc modeste.


Signe des temps où nous vivons, hier soir les promotions 2013 du fameux Conservatoire avaient préféré courir les castings au lieu de partager ce “hochzeit” ; et Mme La Ministre de la Culture ne se tenait pas derrière les rideaux, médaille de Commandeur des Arts et Lettres en main ; ça tombe bien : il s’en fout. Ce débutant de 83 ans qui s’est échiné tout une vie à trouver de l’argent pour monter ses pièces, écrit une fin à la Goldoni, éternellement pourchassé par de noirs créanciers quand d’autres font ripaille, bouffis de leur ministériel succès.

Il a été pour quelque soixante centaines d’acteurs et actrices depuis 50 ans l’éclaireur de leurs débuts, un immense phare dans la mer quelquefois dé-salée de l’arrogant et miséreux théâtre français, un connaisseur infini des partitions de la langue et leurs beautés déclamatoires. Ses mises en scène ont marqué des centaines de milliers de “vieillards sans courtoisie et fillettes sans chocolat”, spectateurs de “Ah Dieu que la guerre est Jolie” en 1972 à “Lear” en 2013, du Théâtre Sorano ou des Amandiers qu’il a fondés, parti sur les routes de Saint-Jacques avec ses élèves de l’école révolutionnaire de théâtre d’Agen. Admirateur et ami d’Antoine Vitez, enseignant tour-à-tour au Conservatoire de Paris et à la Comédie de St-Etienne à l’époque de Daniel Benoin, je me souviens qu’il nous lisait tous les lundis le manuscrit de “Flandrin, acteur” la pièce qu’il avait composée dans le train et créée par Daniel Mesguich à Lille l'année d'après, belle manière de commencer la semaine ; écoutons plutôt : 
Je dois interroger pour savoir la coutume
Ciels, toits, puits, bras, mains, fronts, fruits, voix, cœurs, cris, chants, brumes,
Secrets qu’il faut fouiller avant d’oser entrer
Dans l’espace aboli où grogne le sacré.

Je mets ce vieux costume où des acteurs moururent
On y plaint des frissons, on y lit des blessures ;
(...)
Les anges d’ici-bas sont battus comme plâtre ;
Quelque chose a blessé la douceur du théâtre ;
Les acteurs effarés y perdent leur “par cœur”.
Saisis, les figurants miment d’antiques peurs,
Se remettent debout pour saluer la foule
Et chacun dans sa bouche a des larmes qui coulent.
Vous, pierres du chemin, vous les admirerez.
Ainsi par dignité, comme eux, vous pleurerez.
Accourez de partout, voyelles et consonnes,
Des gosiers déchirés, des gorges qui résonnent,
Vous, verbes du savoir, inventeurs de l’amour,
Qui nommez la lumière et la beauté du jour,
Vous, les seize sons purs des voyelles qui dansent
En se posant les cris du cœur de notre enfance,
Voyelles du printemps quand l’hiver se dédit,
Voyelles du matin quand la nuit s’arrondit,
Grondez, vibrez, marquez ce monde inhabitable,
Petit troupeau des A qui trois fois trop aimables
Feriez croire au bonheur les soirs de pauvreté.
(...)
Les écoliers sont ils tous morts à Oradour ?
Leur œil fut effacé des tableaux noirs du jour
À vivre et des beautés dont il fallait s’éprendre
La leçon est finie et “l’instit” est à vendre.
Bousillés les plumiers, salis les tabliers
Et les plumes sergent-major dans les charniers.
(...)
J’ai fini de jouir, le cheval a henni.
Merci merci merci, lamma Sabacthani”
Larmes dans la salle. Steiner n’aurait pas dit mieux.

Et ce monument, dont la volonté farouche est celle de ne rester qu’un homme libre, était là, debout, fragile et nu, mais à la voix de marbre, comme on l’est bellement à l’arrivée d’un marathon de 70 ans de théâtre. Avec humour, surprise et colère intacte.
Qui est ce Pierre Debauche, disait Mesguich dans la préface aux Sensations insolentes, “un érudit, un fou, un juif ?”. Cet être insaisissable et insatiable, comme devaient l’être Maeterlinck ou Michaux, manque cruellement aux rayons des étagères entre ces deux-là, lui qui n’a jamais eu les honneurs de la NRF-Gallimard (un oubli éhonté) n’a que faire des insignes de la république des orgueilleux. Il aura par trop souvent, et volontiers, affronté les institutions et arpenté les plateaux avec la dimension intellectuelle d’un Strehler, in situ, sous les tentures et sur les tréteaux, à la suite de Jean Dasté, présent dans les diagonales du vide où le théâtre était absent, et pas dans les dîners en ville ou les “In” d’Avignon, festival chevelu, parvenu et trop snob à son goût.

Conservatoire de Paris, Lundi 6 mai 2013
Ce médium de l’ombre des désirs de l’acteur est tout sauf un marchand d’illusions, de ces dictateurs d’opérette libérés par Hollywood, de ces prétendus génies privatisés qui fleurissent trop souvent dans nos campagnes et compagnies, non : Tout acteur passé par ses mains savait les trésors à débusquer dans le petit espace de poésie que les muses ont malicieusement placé entre intelligence du texte et beauté du geste. Merci Pierre Debauche, vous êtes, vous avez été et demeurerez un Maître ès liberté.



Les lundi 6 et mardi 7 mai 2013,
2, bis rue du Conservatoire, Paris IX°,
entrée libre sous réservation.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Debauche

http://theatredujour.fr/

L'Ecole créée à Agen qu'il dirige depuis 1994
http://theatredujour.fr/le-theatre-ecole-daquitaine

http://www.cnsad.fr/site/page/accueil

Merci aux éditions du tarin d’avoir édité sous forme de trois petits cahiers données à l’entrée du Conservatoire les 77 poèmes de Pierre Debauche dits lors de cette soirée.
Merci à Daniel Mesguich.


mercredi 10 avril 2013

"Gagner sa vie" ou la perdre à la gagner...


L'air que nous respirons est chargé, d'interrogations, d'incertitude. Fabienne Swatly dans Gagner sa vie décrit le monde qui a basculé sous les années 80, les années Reagan/Thatcher, sous la forme d'un journal intime littéraire. Ce monde-là décrit par Swatly glorifie l'individu pour mieux l'écraser. Comment se construit la révolte de la narratrice ? Par connaissance de la théorie, par la lecture de Marx et Engels ? Non, par la vie comme elle est.

Les terrains de friche seraient les miens : cité du nord, pérégrinations au gré du marché du travail (quel terme ! nous rendons-nous bien compte de ce que nous disons ?). Elle verra que ceux qui prêtent leur temps en actions solidaires ou altruistes ne sont pas souvent payés de retour ; à l'usine, où l'on travaille sous les ordres, là où le temps de son corps est donné à la production, on est réglé par un chèque, et pas par la reconnaissance. 



Ainsi, comme par un fait exprès, le livre de Fabienne Swatly de 2006 fait écho à celui de Samira Sedira de 2013, que je viens de refermer. "Gagner sa vie" versus "L'Odeur des planches". Et tous deux sortent gagnants.
Là aussi nous assistons à un parcours de vie dont l'auteur n'a retenu que ce qu'il y a de meilleur, biographie de ce qui est subi, écrite  tout de même, avec tendresse toujours, de façon touchante souvent, au point qu'on aurait envie de prendre toutes les serveuses, toutes les ouvrières du récit dans les bras. Toutes ces femmes qui gagnent petit, qui gagnent dur. L'écriture de Fabienne Swatly rend amoureux alors qu'elle s'ingénie "trouver les mots qui mettent en colère".


  • "...c'est quoi comme travail, directeur de prison ?"

Le récit nous fait entrer par chapitres dans le monde associatif, commercial, industriel, carcéral. Tout sert en effet à une femme de 40 ans aujourd'hui qui a vécu cinq fois ce que vivaient les femmes du XVIII° siècle. 

La vie de ceux qui n'ont pas de spécialité est horizontale, riche s'ils ont la jeunesse et la santé pour eux, vide s'ils ne l'ont pas. 

L'usine ou Pôle emploi prend aux gens ce qu'aucun salaire ne saurait compenser, le temps du corps. Chair dont le thème traverse le texte de part en part, corps souffrant au travail, corps postés, corps blessés, corps enfermés. Ces corps dont parlait Michel Serres dans cet épisode la Légende des Sciences, comparant les peintres au tournant de la révolution industrielle. La vision du corps est idéalisée aujourd'hui que l'on est passé des âges de la Formation à celui de la Transformation puis à celui de l'Information. 



On aurait donc tendance à oublier ce que F. Swatly nous rappelle ici avec une douce force : tout n'a pas la subtilité de l'octet. Il y a une volonté de dissimulation, le corps est encore le lieu de la souffrance, les bêtes de somme sont toujours là, et pas qu'elles car il y a bien au moment où nous lisons ces lignes des enfants de 5 ans que l'on glisse par les tuyères des méthaniers pour qu'ils en décrassent les hydro-carbures -à six ans ils sont trop gros- au mépris de leur santé respiratoire, sinon de leur enfance tout entière. Roulons, roulons, c'est aussi au prix de l'asservissement d'autres humains et voilà que le piège se referme sur nous. C'est dire si le prix du litre est bien au-delà de ce qu'il paraît. 

Voilà comme on peut lire le roman de Fabienne Swatly "Gagner sa vie" ou perdre sa vie à la gagner. L'économie du roman va crescendo, avec une rigueur discrète qui nous emmène du particulier à l'idéal, du quotidien au manifeste, comme si la narratrice se révoltait au fur et à mesure que le texte avance. C'est à mes yeux la réussite de ce texte. 

Enfin, il faut saluer le beau travail d'édition et d'impression de La fosse aux ours, éditeur rhodanien qui privilégie la découverte de nouveaux talents.

"Gagner sa vie", de Fabienne Swatly
(Coup de talent FNAC, prix Léo Ferré), éd. La fosse aux ours.

jeudi 28 mars 2013

L'Odeur des planches. Quand le miroir se dérobe...

Ç'aurait pu être un roman, bien que récit. Un récit romanesque bien que témoignage biographique. Ç'aurait pu être un récit du désœuvrement, soulignant le cliché du comédien Sans-Théâtre-Fixe et sa déréalisation ; comme il y a des souffrances d'auteur sans éditeur.





Ç'aurait pu être le roman de l'effacement, de la dilution de l'artiste. Cela a même à voir avec la notion de gâchis que j'abordais dans mon précédent billet. Dilution dans le marché spéculatif des agences artistiques, de l'actrice qui pousse un jour, totalement solubilisée, lessivée, la porte d'autres agences, d'intérim.

Mais c'est plus que ça. Le cœur du récit de Samira Sedira est là, page 48, où l'artiste portraiturée en femme de ménage évoque sa disparition devant les miroirs qu'elle astique. C'est bien d'identité dont ce livre parle et de souffrances. Et avec légèreté s'il-vous-plaît, ce qui est d'une élégance bien venue tant le sujet est difficile (on pense au récent film Les Tribulations d'une caissière).

Identité sociale d'abord d'une actrice, dont toutes les infrastructures publiques de la collectivité avaient investi dans sa formation. Identité nationale d'une petite Oranaise arrachée comme tant d'autres qui furent attirés par le mirage français de la croissance glorieuse, en serviteurs du rêve de l'exil pour ceux qui restaient, artisans de leur propre engloutissement dans la bouche de Baal. Ils transmettaient à leurs enfants turbulents et joyeux l'espoir d'un mieux-disant matériel. Aujourd'hui ce sont des européens qui partent vivre en Algérie, 40 ans après...

La narratrice prend conscience avec la voix intérieure de l'écrivain, devant son fils qui la regarde frotter en dessinant, que cette idée de progrès indéfini a disparu ; que les enfants d'aujourd'hui, qu'ils soient immigrés ou non, ne vivront ni mieux, ni plus vieux, que leurs parents.

Cette douleur qui traverse tout le corps social lui donne des douleurs dans les os. Bien sûr pas tout le corps social, pas les gens qui l'engagent comme domestique.* Elle prend conscience à quarante ans de ce paradoxe que ne connaissent pas tous les comédiens, et surtout pas leurs élites : plus un travail est mal payé plus il coûte. Il faut être allé bosser au Mc Do ou dans des chiottes pour le savoir. Les reins brisés, les jambes fourbues, ce sont d'autres douleurs que celles endurées en plateau qu'éprouvera Samira. Il n' y a pas de métier facile. Mais tous ceux qui sont descendus de cheval se sont souvenus ce que valait une heure de travail : 9 € 40 brut.

Ce qui frappe à la lecture de Samira Sedira, c'est l'absence de commentaire sur soi-même, ou d'explication. C'est pourquoi on est plus dans l'écriture littéraire (quasi cinématographique) que dans le témoignage. Il y a du sens artistique dans la forme lorsqu'on passe, par exemple, du plateau d'un théâtre national à une chiotte (vous me direz que, des fois, franchement, c'est sans transition. On ne fait pas toujours la différence, en effet...). Samira Sedira a une écriture qui parle à l'oreille et aux tripes, privilège de ceux qui savent écrire.

C'est un livre d'une impudeur saine et courageuse. Le renoncement forcé à la scène et son artisanat pour le chemin balisé et mécanisé des trains de banlieue et des chiffons, est d'autant plus frappant que l'auteur incarne ce paradoxe contemporain : l'extrême fragilité de l'extrême compétence. Fragilité du seul capital qui ne produit pas de désastre, le patrimoine intellectuel, le talent. Mais qui prête à rire n'est pas souvent remboursé, disait le poète inspiré.

C'est parce que les artistes et toutes les personnes actives sont plongés dans un bain bouillant appelé "marché du travail" qu'il y a, nécessairement, des rebuts humain, du gâchis. Et cela finit de ne plus choquer personne. 

Sans jamais avoir l'air d'un manifeste, le livre de Samira nous emmène dans le quotidien digne, ô combien sensible, de sa petite vie qui est belle, qui sent les effluves du bord de mer, l'odeur des planches.


Or, ce livre en est bien un.


Sa facture est celle d'un récit intérieur et émouvant, où Samira ne peut masquer la température de sa révolte ; celle-là même qui produit les plus beaux fruits quand elle ne se fracasse pas sur les murs des commissariats. À frotter avec des produits chimiques on perd quelquefois la vue. L'art nous rend cette vue. Et si l'odeur des planches, elle, a disparu, n'ont pas disparu les espoirs de revanche, les rêves de naissance et de renaissance. Cet ouvrage en est peut-être le signe.


"Quand on me demande quelle est ma profession, je réponds tout en ayant l'impression d'usurper l'identité d'une autre que je suis comédienne. Le charme opère immédiatement, 
Ah quel beau métier ! Et dans quoi jouez-vous en ce moment ? 
Silence. Grand trouble sidéré." (p. 116)



Samira Sedira. Salon du Livre 2013. France-Culture.

Maintenant, il faut que je sois honnête avec le lecteur. Je ne suis pas un lecteur indifférent de Samira Sedira, car je l'ai connue naguère, alors que nous avions vingt ans, à l'Ecole de la Comédie de St Etienne, en 1989-90, époque à nulle autre pareille. Nous entrions pour deux ans dans cette fantastique école professionnelle de théâtre, nous assistions au premier Festival de la Convention Théâtrale Européenne et ce, pendant que le mur de Berlin tombait. Ça laisse quelques traces.


Je me souviens d'une comédienne malicieuse, un brin moqueuse comme j'étais un brin timide, et que je n'ai jamais pu rencontrer réellement. Elle n'est pas devenue une amie, parce qu'on ne se connaissait pas et qu'il y avait sûrement beaucoup de malentendus. Par la suite, nos parcours furent très dissemblables, quoique l'issue actuelle plus semblable. Nous ne jouons plus, nous écrivons. Comme nos camarades de promo Laura Desprein, Sophie Lannefranque, Renaud Lebas et récemment Fabrice Talon. Nous essayons de tenir un peu mieux les rênes de nos destinées que n'en laisse espérer la condition d'acteur aujourd'hui.

Les femmes dont elle parle, Samira, je les connaissais aussi. Elles habitaient en bas de chez moi. J'allais en nourrice chez elles à cette époque où je ne faisais pas encore de théâtre, ni ne savait que ça existait le théâtre, ni encore moins la littérature dans ce quartier où les flics ne vont même plus aujourd'hui. Mais Samira ne tombe à aucun moment dans cet écueil des excuses un peu vite invoquées, et il faut lui en être reconnaissant.

J'ai bien connu comme elle, et peut-être à un point plus avancé encore, le déclassement, l'exclusion sociale. Comédien devenu "has been" au lendemain d'avoir été un "espoir" et encore, même pas. Au lendemain de rien, sans transition ou presque. Samira Sedira a eu un parcours d'actrice au théâtre et pas des moindres. 

J'ai connu pareil déclassement plus tard vers trente ans, avec l'impossible excuse avancée par certains d'aucune discrimination basée sur mes origines. Le livre de Samira Sedira -et c'est agréable- ne tombe pas dans cet écueil, cette facilité. Je ne pourrais m'appuyer sur une gloriole passée, même fugace. Samira Sedira le fait par touches, avec modestie, ce qui fournit un contraste aveuglant à la photo qu'elle fait. 

Non, pour ma part, rien ou presque de spectaculaire. La discrimination sociale n'a pas de couleur, l'absence de réseau social des parents est un vrai handicap, l'absence des minimums de moyens matériels permettant à un jeune artiste de s'installer quelque part... tout cela agit aussi sûrement et avec autant de nuisance des deux côtés de la Méditerranée.

Il y a une aristocratie du milieu théâtral et celle-ci n'aime pas beaucoup qu'on la nomme ni qu'on la combatte. Appelons cela "l'arTistocratie". Mon parcours chaotique que je n'ai pas eu le talent de faire publier gênerait assez aux entournures si je le publiais, car  il ne prêterait pas non plus le flanc à ce constat des discriminations racistes au déclassement. 

J'ai, pour la coterie des petits pourfendeurs d'injustice, de rédhibitoires défauts qui ne font pas d'étincelles : picard, aux origines cathos... rien quoi... aucune aspérité particulière où accrocher une mauvaise conscience coloniale encore vivace. Et puis surtout, j'étais sûrement l'incarnation d'une discrimination plus taboue encore mais non moins cinglante que le racisme : l'origine socio-économique.

Samira Sedira et moi étions tous deux jeunes acteurs issus tous deux des quartiers populaires, où elle avait appris de son côté à avoir peur de la Police et de mon côté à avoir peur des Algériens. Il devait m'en rester quelque chose quand je n'avais que 20 ans. Ceux-là, nombreux dans nos classes de fils d'ouvriers, nous voyaient comme des maîtres, des riches, des dominants, parce que nous étions nés Français en France de parents Français. À Amiens, en 1976, ça ne faisait que 14 ans que cette guerre était finie et les esprits étaient encore échauffés, à juste titre...
Nos parents respectifs travaillaient dans les mêmes usines au coude-à-coude mais nous nous faisions copieusement insulter de "poules mouillées", des "sales français", et ceci tous les jours ! (cf. p. 98, une des plus belles). On se sentait menacé de rentrer le soir avec un gnon, de se faire déculotter en public, ou se faire crever les bouteilles de lait que nos parents nous envoyaient chercher. C'était usant.


Je sais donc ce qu'est la bêtise du racisme, et la colère des adultes répétées par des enfants ignorants les causes sociales et historiques dues à un siècle d'occupation de l'Algérie par la France. Cette précision est totalement hors-sujet par rapport à son livre, mais on n'a pas tous les jours l'occasion de lire le premier livre très réussi d'une camarade.


* L'Observatoire des inégalités en 2012 : 37% des jeunes d'origine étrangère sont au chômage de longue durée, alors que leurs parents travaillaient tous.


L'Odeur des planches de Samira Sedira, 
Ed. La Brune au rouergue 135 pages. 2013


lundi 25 février 2013

L’Homme aux mains rongées

Mon précédent billet "Mourir debout ou vivre à genoux" faisait référence au livre de Jean-Paul Galibert. Mais cet ouvrage a eu un tel effet sur ma conscience que je ne pouvais me satisfaire d'un billet apologétique.


Je tente d'y apporter ma pierre, mais Suicide et Sacrifice n'en reste pas moins une référence à se procurer de toute urgence. 

Pour être court et empreint de cette vertu explosive qu’on ne peut lui reprocher, il passe à côté d’un élément capital impensé, ou au moins non évoqué : le gâchis.

Plusieurs figures auraient pu être mises à profit pour illustrer l’hégémonie du néo-libéralisme sur nos vies à nous, êtres médicalisés et occidentalisés, en particulier celle du vampire.

Kronos a préfiguré celle-ci avec Baal qui recevait les offrandes d’enfants vivants. Kronos dévore ses enfants et emporte avec lui leur rire dans la tombe, tempus fugit. Or, la dévoration est une des angoisses de l’hommme les plus archaïques. Son omni-présence aujourd’hui peut expliquer cette anxiété généralisée où sont plongés les hommes, anxieux bien avant d’être suicidaires.

Goya, Kronos dévorant ses enfants.

L’hypercapitalisme dont parle Galibert produit et même surproduit. En surproduisant, il entraîne une casacade de conséquences ô combien néfastes pour l’homme et son environnement, à l’arrière des magasins : la déjection. Pour vanter le mobilier d'un resto, on prend rarement une photo de ses chiottes. Et pourtant...

Que rejete-t-il ce capitalisme dévorateur ? Des matières transformées et usinées, certes. Mais aussi les gens dont il n’a plus besoin, soit parce qu’ils ne sont plus aptes, soit parce qu’ils n’ont pas trouvé leur place dans la société qu’il surchauffe et qu’il met en état de régression anthropologique.

Ce gaspillage est la face verso de cette pièce de monnaie qui brille tant par sa capacité à produire et à innover. C’en est même l’effet secondaire au premier chef. Une des conditions non-avouées de la surproduction. 

Mais pire. Ce qui affecte l’homme et le rend fou est la conscience de se savoir vidé de sa substance. Ça, c’est le gâchis. 

L’hypercapitalisme se comporte comme un Dracula qui s’engraisse et laisse ses victimes dans un état végétatif : l’état suicidaire est non seulement une triste stratégie de défense, où l'être humain sain et sociable se replie en observation pour éviter d'être en prédation, mais c’est aussi le résultat mécanique de ce gâchis endémique, de la permanence de la non-utilisation de ses ressources, des savoirs acquis, de sa culture. 

Du danger de l’inutilité sociale vient cette angoisse fondamentale de ne plus exister du tout, et de vivre sans exister. 

le comte Vlad Drakul http://gvisy.free.fr/article.php3?id_article=39


Le chômage lui, peut être transitoire. Mais je pense pour illustrer ma pensée à cet altiste de haut niveau, médaillé du Conservatoire supérieur, qui ne put se payer un instrument d’exception, et qui arriva toujours second aux concours dans les orchestres nationaux où lui seront préférés un riche altiste Coréen ou Américain, mécéné par une banque, etc (plus on vient de loin mieux c’est pour les représentations mentales des snobs) et qui finit par aller donner quelques heures de cours -à 700 km de chez lui- dans un collège où son niveau musical ne pourra ni s’exprimer ni être perçu. Ce gâchis humain là est irrémédiable.

C’est le broyage d’une personne, désorientée de son désir d’utilité premier, formée pour une fonction spécialisée, quelquefois par l’Etat, au prix d’un investissement de la sphère publique conséquent, et qui n’a pas pu trouver d’emploi réel, de débouché adéquat, épanouissant et pérenne, qui n’a pu mener à bien ses projets pour des raisons quelquefois annexes, tenant au manque d’implantation, au déficit de réseau social de ses parents, ou même simplement par manque d’accès à un logement, par cette souffrance chronique d’être toujours un peu au-dessous du seuil fatal à toute réalisation de soi, le fameux seuil de pauvreté de 880 euros / mois...


Ce gâchis mène à la psychiâtrie bien sûr, par une dévalorisation de l’être social, par une perte immédiate de sens à son projet initial. 

Le suicide alors, comment s’étonner qu’il soit si présent, est une forme radicale du refus de l’inacceptable devenu quotidien : le gâchis de l’intelligence individuelle et collective, le gâchis de toute cette culture transmise, de toutes ces capacités à faire le bon, le beau, le bien.

Comme ce musicien, nous le sentons, nous perdons peu à peu l’usage de nos mains. Très jeunes elles ne servent plus guère qu’à actionner une manette où le but sera d’en tuer le plus possible. En vidéo à Paris. Mais un jour sur le terrain à Alep. 

L’homme aux mains rongées est celui malade de l’hypercapitalisme, de l’hyper-concurrence, qui nous plonge dans la gueule béante de Baal, suce la fraîcheur de notre sang par ce Dracula systémique, nous ronge petit à petit comme une lèpre de l’esprit.


mercredi 30 janvier 2013

Mourir debout ou vivre à genoux


"Suicide et Sacrifice, le mode de destruction hypercapitaliste

Le propre d'un ouvrage fulgurant est d'être dense, lumineux, et comme la foudre renfermer une énergie vitale que le titre ici ne laissait pourtant pas espérer.



Le postulat de Jean-Paul Galibert est que le capitalisme d'aujourd'hui possède des propriétés qui lui sont propres. Il part du constat chiffré qu'avec 900 pers. tous les mois* qui se donnent la mort, la France de ces dernières années ressemble à une considérable boucherie néo-libérale (on pense aussi à la vague de milliers de suicides chez les chefs d'entreprises Italiens, serrés à la gorge ou endettés à vie par leurs banquiers) Par une sorte de vice caché, d'humanité désséchée, le suicide est pourtant le dernier souci de nos dirigeants.

A la recherche du mobile de ce crime parfait Galibert sent rôder les coupables : "Quel peut bien être l'intérêt des nos sociétés à voir ce fléau social et humain augmenter ?". Inspiré par des travaux de Foucault mais aussi des récents ouvrages de J. Généreux ou Naomi Klein, le philosophe nous emmène très, très loin, dans un style brillant, acerbe, éclairant et foutrement fort ! 

Voici : d'ordinaire flanqué de préfixes comme ultra ou néo, Galibert requalifie le mode de production. Nous sommes entrés depuis une vingtaine d'années en Hypercapitalisme

Pas le capitalisme à-la-papa de production de valeur qui réinvestissait bien dans la production réelle, non, un animal bien plus rampant : Celui qui n'a plus besoin de salariés-mêmescelui inspiré des camps de travail chinois, russes ou allemands du XX°siècle. Celui qui offre à l'investisseur anonyme et lointain des profits confortables, mais dont les victimes sont plongées dans l'inconfort de l'angoisse (d'être viré) ou de la faim (émeutes en Asie), travailleurs réduits à l'état suicidaires, victimes incarnées aujourd'hui par les Good-Year (je salue mon ami Virgilio Da Silva, de Sud-chimie) les Contis, les Florange.

"Hypercapitalisme", heureuse contraction qui décrit ce Kapitalisme qui n'a plus rien d'humain, ni dans les procédés ni dans les objectifs, évoluant librement comme le renard libre au milieu de nous autres, volailles populaires.

Galibert emprunte cette porte d'entrée pour en ouvrir d'autres : 

à l'hypercapitalisme correspondent donc les hyperexigeances d'une entreprise moderne (Orange, Disney) au fascisme à peine larvé, aux méthodes managériales écrasant les cadres mais détruisant les petites-mains, et tous ceux qui, une fois poussés vers la sortie quand ils sont encore vivants ou en bonne santé, continuent de produire dans le sous-circuit rentable de la recherche d'emploi, de la formation continue, de la marchandisation des diplômes, des permis de travailler... L'Hypertravail.

Nous voilà contraints de continuer à produire par un travail d'imagination où nous-mêmes sur-valorisons ce que nous allons payer (aidés en cela par des médias omniprésents) en se serrant trois crans de ceinture ou pire, pour essayer d'atteindre ce que nous n'avons pas les moyens de nous payer (mais la prison du Crédit y rémediera un temps). Nous rêvons notre existence, plongés dans une inexistence au travail. Nous nous représentons l'espoir, nous nous projetons positivement un avenir toujours plus proche, le tout exploit ultime, dans un environnement mortellement angoissant et incertain.

Comment s'étonner dès lors que le suicide individuel -ou son état rentable- l'état suicidaire, n'accompagne pas le suicide collectif de nos sociétés "hétéro-dirigées" (comme disait Eco) par la main-de-fer de T.I.N.A ?

Mais à la lecture de cet ouvrage clair et simple au sous-titre sombre en diable "Le mode de destruction hypercapitaliste", se fait jour un sens inattendu :


  • L'état suicidaire où l'être humain sain et sociable se replie, en perte de liens et de sens, en observation pour éviter d'être en prédation, cet état de larve du suicidaire est un effet induit -et souhaité- d'un marché du travail saturé où chacun joue un rôle désespéré. 

Clef de compréhension déjà précieuse à ce stade pour tous ceux qui se sont culpabilisés un jour : "Faut-il que je sois si faible pour me trouver si mal ?"...


Mieux, pour Galibert -si je traduis bien l'esprit de son pamphlet- la vraie révolte n'est ni dans le repli suicidaire ni dans l'échec du suicide avéré. Le suicidaire, loin de se mouvoir contre quoi que ce soit, consent silencieusement aux effets de l'hypercapitalisme. Il lui rend service. Il entretien la terreur qui pèse sur ceux qui restent et seront peut-être les prochains. 

Se dégagent alors des horizons insoupçonnés qui sont de nature à guérir, ou à soigner au moins, des postures culpabilisantes restées sans réponses quand, entre ces lignes, l’on perçoit bien que l’état suicidaire est un consentement, non une posture de révolte par le repli. 

Les dernières lignes, assez lumineuses, de cet ouvrage non moins éclairant que je viens de terminer avec joie contiennent une puissance positive explosive, où Galibert réinterroge le fameux dilemme de Hamlet "Être, ou ne pas être". Il observe qu'il s'agit plutôt qu'un tétralemme : 

"Vivre sans exister, c'est souffrir, subir les injustices qu'il énumère, être exploité. 

Exister sans vivre, c'est être révolté et être tué. 

Être mort sans exister, c'est le suicide... 

Quant à la vie existante, c'est l'art, la création, ici le théâtre, seul facteur de vérité et joie."


Superbe ! à lire, relire ! et à aller lire, à haute voix, partout où la lumière manque !







* Chiffres INVS.fr

vendredi 25 janvier 2013

"Autrefois Outrebois" en lectures publiques


Autrefois Outrebois 
(janvier 2013)
 Ed. Mon Petit Editeur

Un récit que j'ai voulu tendre, 
musical et agricole. 


Commander le livre papier 
"Autrefois Outrebois" 

et en version numérique Kindle 

58 pages - ISBN : 9782342001259 - 
Récit - Edition brochée



Ehpad, petites structures d'accueil, centres de vie, maisons de repos...  Je me propose de venir auprès de vous, faire une lecture animée, vivante et musicale, car tout finit toujours en chanson.

Lecture Ehpad de Lamastre (07)

Quelles que soient vos conditions matérielles, nul besoin d'éclairage, de sonorisation, rien qu'un texte et son auteur >



_______________________________________________________  
Petite revue de presse :

Le Petit Ecrivain
http://www.le-ptit-ecrivain.fr/Dernieres-lectures-archives.html#outrebois
16 mars 2013



"Autrefois Outrebois est une partition musicale que l'on vous joue au creux de l'oreille avec douceur et poésie. Benoît Rivillon nous écrivait qu'il partait lire ce récit sur les routes de France auprès des communes isolées, des publics perdus, des maisons de retraite oubliées... Monsieur, vous ne croyez pas si bien dire. Nous sommes partis avec vous, sur la route, en pensée, pour raconter cette apaisante promenade qui nous a amenés vers ce petit village, vers la vie. 

À celui qui vous lit, cher Benoît Rivillon, bien tranquillement chez lui, dans son petit intérieur, nous donnons un avertissement : Vous ne resterez pas immobile en lisant ce récit. Vous partirez en promenade, bercé par la voix du conteur dans votre tête, au rythme de Strauss, Schubert, Wagner, Beethoven, Mozart, Brahms... La musique vous accompagnera tout au long du chemin que l'auteur trace pour nous permettre d'accéder à la mémoire d'Outrebois. Les souvenirs font le lieu. Vous sentirez les bonnes odeurs de cuisine, vous entendrez le bruit des arbres, le chant des oiseaux dans cet "au-delà"(...) 

Essuyez-vous les pieds, vous entrez dans la maison d'Albertine. Bâtisse témoin du temps. La vie d'Outrebois s'anime sous l'œil de cette grand-mère attachante. Un récit entre temps et tempo. Battez le pas vers Outrebois. Vous y croiserez des personnages de caractère. Ils se souviennent, comme la nature, de 14-18, des années 30-40. La guerre est présente dans leur mémoire. Chaque époque à son armée. Une armée contre laquelle combattre. Autrefois Outrebois est un récit sur le temps qui passe. 

Et à la fin, la laa... le lecteur vibre."


__________________________________________

Nicolas Bonin, St Denis de la Réunion, 
Journaliste

"J'ai eu la chance de lire ce livre à la musicalité douce et mélancolique. J'ai aimé imaginer ce petit village à des milliers de kilomètres de l'île où je vis. 
J'avais l'impression de sentir l'air frais de la campagne picarde."


_________________________________________


Ma bibliothèque bleue: Autrefois Outrebois de Benoît Rivillon : un récit musical et rural d'une rare intensité !
 bibliobleu.blogspot.com/2013/02/autref…
— Sabine Ma Bibliothèque Bleue 25 février 2013

"C'est le second livre des éditions Mon Petit Éditeur que je découvre et j'en suis enchantée.
En quelques dizaines de pages, l'auteur brosse l'histoire d'un village de Picardie avec des mots justes et simples. 

La ruralité du récit est mise en musique et apporte une poésie indéniable au texte.
Une écriture profonde et sensible ! "
_______________________________


"Vraiment superbe ton texte. Tu es vraiment un écrivain.
Une ambiance tout de suite. Beaucoup de sensibilité.
Une écriture sobre et juste. On est dedans, on est bien et on n'a pas envie d'en sortir.
Et tout ce qui est dit est mélancolique et humain.
Je le relirai pour le plaisir".

 Ariane Walter, Montpellier
Dramaturge, journaliste


______________________________pour les signatures-lectures en librairie, me contacter : benoit_rivillon@yahoo.fr _________


Quelques autres critiques : 


"J'ai beaucoup aimé ton récit. Etonnante est sa façon de combiner simplicité et complexité. Sa justesse tient à sa légèreté, plus d'une fois drôle, qui ne se sépare pas de sa profondeur. Il est vivant, et même vital, tout en maniant l'artifice.

Ce que je trouve particulièrement fort, c'est l'arc, difficilement praticable à bon escient, que tu parviens à tendre entre une campagne ancrée et ladite grande musique. 

Tu ne te contentes pas de transporter la seconde dans la première, mais rends sensible comme musique non sans grandeur une campagne et ses hommes, ses générations, et de ce fait, invites à rencontrer ladite grande culture pour ce qu'elle est toujours : une agriculture parmi d'autres - avec ses hommes, ses générations, ses modes d'exploitation (de composition, de décomposition), etc. - dont la grandeur indiscutée n'est qu'une évidence imbécile, tout comme le serait la petitesse indiscutée des paysans ou autres.
Tu réussis là un récit d'art, entre autres choses..."

Gérard Lépinois, Paris,
Dramaturge, essayiste

_______________________



"Nous ne pouvons vivre qu'en nous racontant des histoires. 
C'est notre force et c'est notre plus grand péril.
Je veux voir Outrebois parce que tu m'as fait voir un monde et que je veux t'envoyer une ou deux photos du réel de ce lieu forcément imaginaire...

Ton texte m'emmène ailleurs, 
il me conduit dans ta propre poésie, ton sens de la langue,
de la syntaxe, du lexique. 
Dans la tendresse, souvent inversée, que tu portes à ce monde..."

Raymond Godefroy, Amiens
 Ecrivain, Metteur-en-scène
_______________________________

agrandir


Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017