lundi 18 novembre 2013

Commico Squatt' (en compétition pour la Nouvelle Edilivre 2014)

J'ai été ému de savoir que des citoyens à Paris plutôt jeunes et dans une situation précaire investirent un local public désaffecté et s'en trouvèrent délogés manu-militari.

J'en ai retiré une nouvelle qui entrait assez bien dans le cadre du concours Edilivre 2014 de la nouvelle sur le thème du Pouvoir. Ce texte concourt donc, qui n'est que la traduction personnelle de cet épisode vécu par le CoOlectif du bonheur.

Voici ma fiction, et ci-après, la vidéo des événements.

 Commico Squatt'


- Paris, XVIII°.

- Siècle ?
- Arrondissement…


Antonin Sire, porte-parole du collectif «Associations d’idées» s’accrochait à la rampe d’escalier, tenaillé par deux agents. Face à l’impuissance des pouvoirs publics à fournir un peu d’espace, son collectif clamait « Nous, on peut ! ». Ils purent alors occuper les locaux d’un vieux commissariat désert en plein Paris. Mais le conte de noël où Antonin avait emmené ses amis se terminait là où il avait commencé. Son portable, lui, demeurait aussi en garde-à-vue pour identification…


Mais reprenons le cours du récit : Il est tard, l’hiver est glacial. Les agents ont froid et n’ont qu’une idée en tête : pénétrer. Réinvestir ce commissariat occupé, restaurer le primat du beau, du bon, du bien. Reprendre l’espace occupé par des squatteurs, le bien de la république, mesdames-messieurs. En haut lieu, les sphères du pouvoir s’entrechoquent, mais en silence. Toujours. Préfet et Procureur se disputent le Droit. Deux chiffonniers en habits feutrés :


- Les squatteurs sont réfugiés dans l’espace de la république depuis plus de quarante-huit heures, M. Le Préfet, vous n’avez pas le pouvoir d’intervenir, et ils restent sous mon autorité.

- Pensez aux répercussions médiatiques, M. Le Procureur, les jeunes ont les rieurs de leur côté.

- Vous connaissez donc leur âge ?

- Non, mais je disais «jeunes», comme ça… imaginez-vous que le Pouvoir soit plus longtemps moqué, et par une bande de squatteurs qui croit au Père-noël en plus, qui voudrait... se réchauffer dans un commissariat, non…



L’autorité, dans un geste fumant, fait alors déplacer quatre fourgons de tortues romaines, carapaçonnées, en formation. Des stagiaires qui squattent un scaphandre, jusqu’à nouvel ordre. Mais l’ordre ne vient pas, et le froid saisit les fonctionnaires aux commissures. Il s’en plaignent.

Au cours de ces deux jours où tout allait pour eux comme en rêve, le collectif des «Associations d’idées» organisait son ministère à l’intérieur : tableaux, café, bureaux, trombones pour la fanfare. Tout marchait. L’eau, le chauffage. On avait même installé un baisodrome dans la salle d’interrogatoire. Quand on a le luxe, pourquoi pas la luxure…

Au plus fort de la confrontation, l’association, toujours soucieuse d’humanité partagée, fit porter au-dehors par la fenêtre entr’ouverte quelques plateaux pour les agents torturés par la glace, immobiles devant le portail fermé. Le gôuter de café et de croissants chauds fut accueilli par quelques bravos républicains, vite réprimés. À travers l’huis de la porte, le négociateur finit par demander poliment la clef du commissariat aux jeunes du collectif, la hiérarchie ayant perdu les doubles…

S’engage alors, comme toujours en pareil cas, un véritable bras-de-fer, avec exigences et garanties, pressions psychologiques et ultimatum de part et d’autre. Les clefs pour les uns, de l’espace et la liberté pour les autres. Pour lesquels, allez savoir. L’association se trouvait enfermée à l’intérieur par la police qui, elle, se trouvait expulsée. Laissez-nous sortir ! Laissez nous rentrer ! Les deux parties, chacune de leur côté, pensaient à invoquer l’article 432 pour « privation arbitraire de la liberté de circuler »... La situation devenait homérique.

À dix-sept heures incandescentes, voyant que la nuit allait tomber et faire sortir les premiers loups de leur tanière, on fit venir un bélier. Sur ordre du Préfet contre celui du Procureur, le pouvoir impuissant envoie les forces de l’ordre : elles pénètrent le commico par effraction.

On avait rarement vu tel acharnement et tel plaisir à la tâche contre un bâtiment de la police. Un défonçage réalisé avec netteté et précision. Du grand art dans la reprise en main des locaux, propriété de tous. D’abord, se jeter sur les portables. Ils recèlent plus d’informations que tous les interrogatoires ne pourraient en livrer. On pourrait même à l’occasion jouer à Drive-circuit avec les Iphone saisis, si ça durait encore. Une jeune femme rétive, qui n’avait pas éteint le sien, est alors alpaguée par une tortue et se fait démonter l’épaule. En douceur toutefois, par égard pour son sexe. Le service public se muait en sévice public. Vol avec violences en réunion, dégradations du matériel de l’Etat... les chefs d’inculpation s’alourdissaient d’heure en heure pour tout magistrat dont les dents rayeraient le parquet. Le vieux commissariat de quartier, de désaffecté à défoncé, rouvrait. Coûte que coûte, même dans l’illégalité, et c’est ce qui importait. La commissaire exultait. De la proximité !

Au Quai, même les chaises avaient la gueule défoncée de ceux qui entament leur troisième journée de garde-à-vue. La noria des équipes de relève donnait l’illusion que des bataillons de milliers de képis se succèdent ici jour et nuit et passent d’une tête à l’autre. Seules les impatiences des enfants perdus redonnaient à cette drôle de crèche des couleurs chatoyantes. Sûr de son fait, légitime comme un pape, Antonin Sire ne regardait ni les marches ni les murs cradingues qui lui bornaient l’horizon et le menaient aux cellules où tant d’autres avait dégrisé. Il ne voyait que son œuvre de salubrité publique. Le pouvoir des citoyens sur leur cadre de vie.

Il avait régné, dans son commissariat du XVIII°, recyclé en Maison du peuple avant que l’escadron ne débarque les pacifistes subversifs, une ambiance bon enfant ; à laquelle le craquement subit d’une porte volant en éclats mit fin. Situé le long d’un petit canal parisien, on y entrait libre pour assouvir une envie des grands soirs, dans ce commissariat où la possibilité du bonheur reprenait ses droits. Croyait-on… Ce joyeux local investi par des fauteurs d’ordre public établi, était d’un tout autre acabit que le 36 quai des orfèvres. Il résistait, délaissé mais ouvert, vaillant, beau comme une cabane de garde-champêtre, où fleurs et champignons remplaçaient avec bonheur graffitis et chewing-gum collés. Tout en cette bâtisse exhalait un parfum de vieille dame presque moisie, qui aurait bien vécu. Drames et joies, démissions, soirées au champagne, visites inopinées des huiles dans le fracas des drapeaux. Le petit escalier, l’épaisseur des couches de peinture ajoutées les unes aux autres, la chaleur des boiseries, la façon «maison» des murs tout de guingois, les vitres années 50, soufflées à la main, les chevillettes plus âgées encore que les services historiques, conféraient à cet ensemble un air de famille propice aux confidences librement consenties.

Détenu au «36», Antonin Sire avait beau convoquer toutes les ressources de son esprit, il n’avait pu passer par l’arrière-cour de ce décor de polar sans être saisi par le dégoût des effluves où domine le concours des misères humaines les plus crasses. Il y reconnut la moiteur des nuits sans espoir de soleil, des espérances déçues de ceux qui ont perdu leurs clefs. Ici, faire la lumière sur les faits commençait par l’obscurité. Celle des puits, aux rares soupiraux, exerçait sur les yeux une mise en condition préalable. Nul peintre n’y avait jamais officié. D’odeur, aucune où raccrocher un sentiment de vie. Nul chef n’y avait jamais été formé. Le 36 était une sorte d’hôpital où l’on pouvait même se blesser.

Il avait fallu la grâce d’un lieutenant-major pour que la discussion avec les autorités reprissent une tournure normale. Il avait compris. Ne pas haïr. Comprendre les deux parties. La situation était nouvelle pour tout le monde et il valait mieux que tout cela ne se sache pas. Et puis, à Noël… pas de bavure.

L’opération s’était achevée normalement à la fois sous les acclamations du crémier et sous les sifflets de la population divisée du quartier. La bouchère nymphomane et l’instituteur à poils longs ne produisaient pas le même son. Le livreur de pizza avait préféré passer sa route avec célérité, craignant pour sa marchandise. Le pouvoir avait mis les points sur les i. Il ne vacillait pas sur ses assises, la force restait à l’Etat, le dernier mot revenait à l’ordre. La loi, en bonne fille, saurait fermer les yeux. On rentrait chez soi... l’hiver sonnait aux clochers jaunis.
___________________________________©BenoîtRivillon2013____________


mercredi 6 novembre 2013

Perspectives : du chemin de l'école à la dette


Deux documentaires sortent au cinéma cet automne, "La Dette" de Sophie Mitrani et Nicolas Ubelman et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson.


"La Dette" va faire un carton parmi les associations et autres réseaux comme Roosevelt, Utopia, et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson aura du succès parmi les pédago, les instituteurs et professeurs de collèges en tête. L'un est bien distribué, et soutenu par l'Unesco, et l'autre plus modestement distribué par une coopérative et une poignée de donateurs anonymes.

Ces deux films nous placent face à deux messages totalement contraires : 
  • "nos efforts collectifs sont voués à l'échec" (La Dette)
  • "l'effort individuel est récompensé" (Sur le Chemin de l'école) 

"La Dette", fruit d'un labeur de trois ans de recherches et de nombreuses rencontres de personnalités, expose comment nos démocraties en sont arrivées à être court-circuitées par une économie fallacieuse qu'il convient d'appeler "économie de la dette", et quel est ce circuit qu'emprunte l'argent, circuit rarement dévoilé... Vous le savez assez,  il faudrait réduire les dépenses pour payer la dette. Les documentaristes s'attardent sur la logique de l'argument pour en vérifier la solidité ; et là, ça craque assez vite.

Le rare mérite de ce documentaire est d'être allé replacer les maux contemporains de nos équilibres budgétaires dans la perspective historique des rapports entre Banque et Etat, et de forcer le spectateur à réfléchir par lui-même en l'instruisant. Nombreux étaient ceux qui, parmi ceux de l'Espace St Michel qui ont assisté à la sortie du film en primo projection avec les réalisateurs, y avaient appris que l'argent d'un crédit prêté par votre banque vient d'être créé par son écriture-même !

(produit par association (Régie Sud), La Dette est distribué par Direction Humaine des Ressources 
et sorti dans 7 salles en France.
Pour voir ou organiser la projection du documentaire, vous pouvez contacter le distributeur .)

Au bout de tous ces chiffres, le mirage de l'argent-dette produit donc une absence de perspective, et se dresse devant nous autres, habitants des régions développées du monde où le chômage plane, où ses causes "structurelles" découragent le sens de l'effort des adultes comme des enfants, nous dressent les uns contre les autres dans une concurrence partout glorifiée, où même l'école est un marché à conquérir, s'il n'est déjà conquis. L'esprit des spectateurs encore étourdis par la richesse des points de vue exposés dans La Dette, mais mal préparés par la vision de ce spectre quotidiennement brandi, se demande alors : comment sortir la tête de l'eau sous ce joug permanent ?

C'est à une refondation de notre pacte social et démocratique que les conclusions aboutissent, replaçant l'argent comme un bien commun capté et capturé. On note au passage les brillantes explications de l'économiste Benjamin Coriat, moins connu que Bernard Maris et des critiques portées au monde de la finance par un Pascal Canfin, pas encore Ministre au moment du tournage, pas encore réduit au silence, en bon Vert de gouvernement qu'il est.

Dans nos pays sclérosés par leur dette publique, nos collectivités n'auront bientôt plus les moyens d'assurer une école au niveau où nos pays l'exigeraient... Ah, c'est déjà le cas ? On se le dit quand on voit la fuite de nombreux enfants vers les écoles privées. La marchandisation des savoirs et de la culture fera basculer la dette publique au service des dettes privées (qui sont en France, rappellons-le, 4 fois supérieures à la dette publique : sept mille milliards d'€). Même si ça n'est pas le sens que les réalisateurs ont voulu donner à leur ouvrage, je me dis que nos efforts collectifs passés passent au bénéfice de quelques unes (ex. le marché juteux de l'électricité) et que nos efforts présents sont voués à l'échec (le cas de la Grèce est exemplaire).


Sur le chemin de l'école, l'effort individuel est récompensé

Profusion de perspectives au contraire pour ces quatre enfants suivis par Pascal Plisson sur les chemins de leur école, tant en Argentine qu'au Maroc, au Kenya ou en Inde. Leurs obstacles à eux sont naturels, et se dressent devant tous, quand ici les montagnes s'aplanissent pour certains...

Ces enfants pleins d'énergie, revigorés par le chaotique et froid chemin des montagnes, par leur longue marche au grand air des pampas et de la savane (on pense alors aux pauvres poumons de nos petits parisiens qui partent le matin... toussez svp), pour qui l'école signifie bien une précieuse conquête, pour qui l'effort est encore récompensé, ont devant les yeux le rêve de leur vie.

Sur le chemin de l'école, de Pascal Plisson, 2013


Ce qu'on perçoit du film, c'est que par ce chemin, sur ce chemin, long, difficile, caillouteux, il y a la solidarité, l'école de la vie. Il est en soi une école, ce chemin. Il est frappant de voir le développement physique de nos bambins marcheurs, ou cavaliers, comme ce petit Carlos, Argentin de dix ans pour qui la sellerie de cheval n'a aucun secret et qui veut devenir ingénieur agronome ; cette jeune marocaine du même âge qui franchit les cols avec ses camarades, qui requièrent l'aide d'habitants pas toujours solidaires des écolières.

Cela tranche assez avec le cliché du d'jeun's décrit dans la célebre pub "animalière" pour La Poste ou encore le spectacle télévisuel du fils de bourge parvenu qui dit n'avoir rien appris à l'école (peut-être parce qu'il était inutile d'y apprendre quelque chose tant son insertion sociale ou ses moyens de subsistance étaient assurés d'emblée).

Là, on assiste au parcours de ces gosses, au sens physique et symbolique du terme, à la réussite de ces enfants-là et l'on se dit qu'après tant de peine endurée il n'y a pas d'échec possible. 
 
De prime abord, on aura de la compassion pour ces quatre enfants, car après tout, c'est bien le sens du film, il y a bien dans le monde 100 millions d'enfants de plus de 5 ans qui travaillent dans des mines de kaolin, dans des usines de bijoux, aux basses-fosses des méthaniers... Mais ensuite, on a de l'envie : eux quatre, pour qui le chemin agit comme une pédagogie au sens premier du terme, sont encore au contact de choses fondamentales, de la nature, du danger (n'y a-t-il pas plus initiatique que ça ?) Apprendre en faisant, en marchant, en découvrant, apprendre avec le corps, tout ce qu'on a oublié... En marchant, en allant là-bas s'instruire auprès d'un maître respecté et obéi, ils prennent leur destin en main ; ce sont quatre enfants qu'on peut finalement et malheureusement qualifier de privilégiés. Le film embue nos yeux lors de ces quatre insertions de paroles d'enfants, à la toute fin d'un film quasiment muet.

Je ne suis pas absolument pas accord avec la critique blasée par sa soirée de projo-presse de la journaliste Louise Tourret (Slate) qui aurait voulu voir un Envoyé Spécial et a vu un documentaire de cinéma. Car ce film pour une fois silencieux (!) minimaliste, sans didactisme aucun, donne à voir, et nous renvoie à nous-mêmes. En particulier aux problèmes endurés par tous les profs de nos terroirs... (toussez encore, svp)
 
Au sortir de la projection de ces deux films dans la même semaine on peut avoir un beau panorama de l'état du monde en 2013. Entre ceux qui pensent que nos lendemains refleuriront sur les ruines et ceux qui pensent que tout est encore à construire, ceux qui ont simplement espoir et ceux qui commencent à le perdre, ces deux films se parlent.

"Sur le chemin de l'école" est très consensuel. Il a d'ailleurs été présenté en grande pompe à l'institut du Monde Arabe devant un parterre de journalistes et de politiques. Il devrait avoir un beau succès d'ici quelques années dans toutes les écoles de France et même au-delà, vous pouvez en être sûrs (c'est le bon coup qu'a su flairer Disney France, son distributeur, sinon un tel format de documentaire, sans commentaire, aurait plutôt trouvé son chemin dans les petites salles indépendantes dites d'art et d'essai).

"La Dette" est un documentaire clairement clivant et didactique. 
Il a cette capacité d'informer en semant le trouble dans l'ordre public. Il entend remettre "le hold-up du siècle" au cœur du débat dont les citoyens de tous les pays du monde devraient se saisir. Il mérite d'être vu, diffusé, et mis en avant dans les medias. Mais je ne suis très pas optimiste quant au courage de ces mastondontes à affronter de plein-fouet leurs contradictions et la vacuité de leurs sempiternels arguments-revolver ! 
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 liens annexes

http://www.bastamag.net/article3259.html

http://www.le-telecharger.com/telecharger-la-dette-2/

vendredi 18 octobre 2013

D'un rideau de fer l'autre

Paris, Café de Flore, octobre 2013. Photo Eliette Abécassis.

Ce billet est rédigé sur mon blog littéraire parce qu'une écrivaine en a été l'étincelle. Eliette Abécassis.

Elle prit hier soir cette photo dans les rues de Paris. Cette famille dort dans la rue à côté des belles gens du café de Flore.

Cela fait plusieurs mois que cette famille est là, et j'atteste avoir vu M. Cambadélis qui sortait du siège du P.S un soir les regarder tout en continuant sa discussion l'oreille collée au portable, il était vers 23 h 30 en juin 2013. Qu'il me dise le contraire les yeux dans les yeux. S'en souvient-il, au moins ?




Eliette Abécassis a une certaine aisance, elle publie depuis vingt ans des livres qui se vendent bien, son éditeur est sûrement encore plus fortuné mais baste ces considérations, elle choisit en personne humaine d'appeler le Samu qui n'intervient pas dans ces cas. Les pompiers ont accepté d'acheminer cette famille vers un hôtel pour lequel Eliette Abécassis leur a payé de sa poche 3 nuits d'hôtel. sur Facebook elle a posté cette photo et le lien vers le site Leetchi. (Personnellement, j'ai déjà "donné" 450 euros cette année à deux petites sauvageonnes qui se sont jetées sur mon distributeur de billets dans la rue.)

Merci donc à Eliette pour ces personnes humaines fragiles qui ont eu la chance de rencontrer une autre personne humaine. 

Son initiative est très louable, mais la question se pose : Pour quoi paie-t-on encore des impôts ? Faut-il qu'on soit fatalement réduits à espérer que se mette en place la charité, alors qu'on vit dans un pays qui dégage 2 Trillions d'€ par an de richesses, dont 180 milliards vont aux seuls salaires et 300 milliards aux dividendes des actionnaires ? 

Ce sont nos dirigeants qui doivent se sentir coupables. Envoyons cette photo à tous les cabinets ministériels, à Matignon, et à l'Elysée en leur demandant s'ils n'auraient pas dans cette occurrence une responsabilité historique...

Après tout, ils consentent à ce que la totalité de notre Impôt sur le Revenu aille au remboursement de la dette publique aux banques privées (50 Milliards d'euros/an); Honte à eux ! Et pitié pour les pauvres que nous serons peut-être demain !

Je viens justement de finir le livre de Maxim Leo. La collection Lettres Allemandes que dirige Mme Martina Wachendorff (Acte Sud) nous propose un témoignage au titre simple de "Histoire d'un Allemand de l'Est" (urtittel "Haltet euer Herz bereit. Eine ostdeutsche Familiengeschichte"), déjà traduit en anglais par Red love... (tradutore traditore... )

Le sujet en est le parcours de deux familles mi-juives qui ont résisté sous Hitler, vécu en DDR, et de ce garçon qui n'eut pas en 1989, face aux Vopo, la moitié du courage de ses aïeux et qui le dit.
Ce récit de famille s'appuie non seulement sur les mémoires personnelles de Maxim Leo, Ostie avant de devenir Westie, mais aussi sur les écrits familiaux restés impubliés ou publiés de faits de guerre, et de vie sous le régime de la DDR (Deutsche Demokratische Republik). 

Bien des passages pittoresques émaillent ce récit issu de ses archives personnelles, et aussi de situations cocasses où, un temps jusqu'à 1961, certains Berlinois ont choisi de passer la frontière du secteur Ouest de Berlin pour sortir de ce quartier dit libre mais enserré, pour s'installer à l'Est, ce qu'on ne décrit jamais...

Mais voilà encore un livre de plus, écrit par un journaliste de renom en Allemagne (chroniqueur de Der Spiegel) qui nous convainc de l'inanité du système autoritaire stalinoïde qui sévit en RDA, mais qui ne fait en aucun cas, et c'est tout le second volet auquel on exhorte l'auteur de se livrer, un témoignage contemporain sur l'évolution de son pays (côté ex-Est) depuis 1989, et au-delà de son pays.

Or, j'en reviens à cette famille sauvée pour 3 jours par une écrivaine française de renom. Souvenons-nous : il fallait donc à tout prix endiguer le communisme n'est-ce pas ? Faire tomber le mur de Berlin ? Sans surtout mettre en place de républiques sociales dans les pays de l'Est démantelés ? "Intégration européenne" disait-on, horizon de lait et de miel, non ?

20 ans après, on voit physiquement les effets de cette histoire dans nos rues de Paris, et ironie cruelle, au pied des établissements de luxe. 

Cette famille apparemment immigrée de l'est (Roumaine, Bulgare, Kosovare, allez, trève de pudibonderie) est une des millions de victimes de ce fanatisme euro-américain, drapé de l'épithète mélioratif "libéral". 

Des choses comme ça à nous faire regretter le "mur de la honte" et le "rideau de fer". 
Aujourd'hui c'est sont ces plus pauvres de l'est qui dorment dans le froid contre les rideaux (de fer) des magasins et ce sont nos riches murs (de la honte) qui abritent ces pauvres gens.

vendredi 19 juillet 2013

Citer Roland Barthes

"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.
 
La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté.“
 
Roland  Barthes. 




"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.

La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté."

Roland Barthes.

dimanche 7 juillet 2013

Superman désenchanté






Superman, le film, en 1979 a été pour moi un moment de merveilleux dans ma vie. J'avais tout juste onze ans. Pour le petit garçon que j'étais, qui n'allais pas souvent au cinéma car c'était trop cher, le spectacle de la puissance incarnée, qu'elle soit physique ou spirituelle, qu'elle soit politique, avait quelque chose de fascinant.


Me revoilà donc saisi de nostalgie, car il n'est pas sûr que je fusse motivé à dépenser 10 € 70 cts (pour 68 Francs à l'époque on avait deux albums 33 tours) si je n'avais été autrefois le spectateur ébaubi, pleurant de joie aux exploits humanitaires de Superman, et qui fus bien déçu par ailleurs de savoir qu'il s'appelait en fait Christopher Reeves. Car je croyais à Superman.Tout comme si le Père Noël s'était appelé Bertrand Lajoie. Je pouvais me rappeler toutes les scènes du film tant l'identification avait été forte. Le spectacle de la virilité, façon Casques-bleus, décillaient mes yeux naïfs ; et les américains ont à peu près tous onze ans, de ce point de vue...


En cet été 2013, je voudrais bien savoir comment un enfant de onze ans peut regarder ce film et s'identifier à ce super-héros, sans être pris des nausées qu'on ressent après une orgie de sucre. La musique du film n'est qu'une bande-son cosmétique à côté de l'orchestre de Williams en 1979. Le scénario s'est voulu novateur du point de vue de la psychologie du protagoniste, un peu plus fouillée que dans l'original. Clark Kent torturé, est conscient de la mission colossale qui pèse sur ses épaules larges et mieux body-buildées que chez le créateur du rôle. 


Le montage résolument moderne, entendez hystérique, avec des effets spéciaux à profusion et une succession de séquences sur les vingt premières minutes du film. Tellement que lorsqu'on arrive sur Terre avec des plans de plus de 3 secondes, on croit respirer à un rythme normal. Le jeu des acteurs millimétrés est clinique. Tant que l'on se demande si ce sont bien des acteurs qui jouent ou des images de synthèse qu'on fait jouer. Tant et tant de travellings et d'effets de profondeur spectaculaires que l'on se demande, au fond, si l'on n'est pas plutôt en train de mater un jeu vidéo... 


Est-ce encore du cinéma ? (Ai-je l'air d'un vieux con ?)

Voilà peut-être, hélas, la nouvelle loi du genre contemporain, qui dresse d'abord un film au rang de bonne soupe recyclable pour ses investisseurs financiers. La forme prédomine alors tellement sur le fond et celle-ci est ainsi colorée et mouvementée que l'identification devient impossible. Elle laisse à bonne distance même les plus adhérents, comme moi. Quelle est encore la part du rêve, l'espace du spectateur, le respect de son imagination ?


Du fascinant au fascisant

Sur ce fond inexistant et même régressif, où l'humanité est réduite à dépendre d'un messie pour résoudre ses problèmes de sécurité, j'oserai dire que ce Superman-là, Man of Steel, aux allusions bibliques plus explicites (on adore les vitraux appuyés, derrière le curé, où l'on a loisir de contempler des pans entiers de la vie de Jésus) et à la narration ô combien plus téléologique que l'original, que malgré tous ces efforts d'humanisation du personnage qu'on sent bien, il y a là quelque chose de fascisant sur la forme. Surenchère de démonstrations de puissance, destruction permanente d'un monde qui paraît bien menacé alors que l'Armée et sa capacité technologique y est omniprésente.

Le scénario confié à M. Nolan, très en veine en ce moment, ne doit pas être très épais, car les séquences de batailles rangées où les coups et les tirs sont offertes au kilomètre.


Umberto Eco a raison de rappeler dans son article "Les forteresses de la solitude"*, que Superman a besoin de temps en temps de se retrouver dans son repaire, revoir les objets témoins de son histoire, un musée personnel de glace où personne ne peut aller. Or, ce temple est immédiatement profané dans le film de Zack Snyder...

Le co-protagoniste Général Zod, on le sait depuis la première séquence sur Krypton, est méchant. Il a admiré le père de Kal-el, Jor-el, mais il l'a tué et a été condamné (ce qui est mieux amené que dans le premier film où tout cela restait ésotérique dans la séquence fameuse avec Marlon Brando.) Il fera obstacle aux destinées de Kal-el sur terre, c'est annoncé et on n'est pas surpris. Tout est mâché on vous dit, ne réfléchissez plus. L'obstacle Zod est tragiquement victime de son destin, ou de sa programmation génétique, alors que Superman lui a réussi par l'adoption des terriens qui l'aiment, à dépasser sa destinée première et ses origines ; ça c'est beau, mais il faut gratter. 

Pessimisme encore car nulle médiation possible avec des extra-terrestres prompts à demander la reddition en guise de bonjour. On comprend vite aussi, à voir la gueule des militaires américains toujours au premier plan, que tous les terrestres ne sont pas non plus extra ! Trève de plaisanterie, dans les dialogues on entend même des refrains tristement célèbres du genre "...pour un seul que tu sauveras, on en tuera des millions...", qui nous les fait entendre comme certains slogans entendus de part et d'autre du Mur de sécurité. 

La musique de John Williams en 1979, je le sais aujourd'hui, avait été honteusement pompée sur le "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss ; mais cela avait un sens plus spirituel, via le surhomme Nietzchéen. Restée célèbre, elle avait laissé une empreinte fort durable dans mon esprit, alors que je ne l'avais entendue qu'une fois. Pas de magnétoscope à cette époque-là ni de B.O disponible dans les bacs.

Donc oui, fascisant, ou tout au moins martial et total paranoïde. 

L'Autre, l'Etranger, l'extra-terrestre, est une menace mortelle qu'il faut anéantir. Un virus. Pas l'ombre d'une quelconque "humanité" ni de lumière dans les yeux des ennemis, à aucun moment, si ce n'est la lumière bleue qui découpe le métal.

Bonjour vous, petits enfants qui êtes égarés dans cette salle, préparez-vous à affronter ce monde violent ! Les images et la bande-son, assourdissante, tonitruante, s'il en fallait une, le disent. Rien n'est doux, tout est rapide, le ryhtme est d'enfer. De toute façon, vous êtes habitués...

Une chose est sûre, si j'avais vu Man of Steel en 1979, j'aurais fait des cauchemars pour des années.


*Eco : La Guerre du faux, Grasset, 1985, Livre de poche


* Je ne saurais trop conseiller aux exploitants de salles de ne pas toujours utiliser leurs amplificateurs à leur maximum, à moins qu'il ne veuillent se spécialiser, dans un futur proche, dans l'accueil des spectateurs malentendants ; et ça, ça ne sera pas de la science-fiction.

dimanche 30 juin 2013

Le temps de l'écriture



Je fais cette brève note à l'égard des quelques lecteurs de ce blog. Il y en a, bien que je ne les connaisse pas : tout blog est un miroir sans tain. La seule trace qu'ils laissent est ce compteur de visites en bas, à gauche. Depuis septembre 2012, 2600 visites. Pas mal pour un blog littéraire sans prétention et sans communication...

Tout écrivain, qu'il soit en herbe ou confirmé, découvre au fil de la plume sa façon bien personnelle de fonctionner, de se rapporter au temps qui se découpe, comme les choses se construisent chez lui, à son propre insu. C'est ainsi que les périodes d'écriture sont chez moi dépourvues de lectures. Et vice-versa. C'est compartimenté comme ça dans mon esprit et je ne saurais vous expliquer pourquoi. A tel point que je ne peux produire de fiche de lecture en temps d'élaboration littéraire personnelle. C'est bien tout ce que je peux révéler. Je peux vous dire que c'est passionnant, d'écrire. Si j'en dis plus c'en sera fini de mon projet, il tombera en pure poussière de velléité. J'ai su que les peintres avaient ce symptome du dévoilement impossible. Dès que la toile est présentée, le travail s'arrête. Je ne peux donc rien dire de mon projet en cours d'écriture.


Je peux en revanche réveler ce qui est abouti.
Après le petit "Autrefois Outrebois" disponible en librairie, petit récit d'introduction à la littérature et la musique par le retour aux humus des forêts d'antan, je me suis attelé à la construction d'un roman noir, aujourd'hui achevé dans son écriture mais qui n'a pas encore trouvé  son éditeur, eh non...


Les Mauves


J'en donne ici un aperçu des 20 premières pages 
ça pourrait m'éviter d'envoyer un manuscrit lourd, coûteux et chronophage à une éditeur, 
en admettant que l'un d'eux vienne lire ce blog, bla bla...


Je vous fais le pitch  :

Retour de vacances peu ordinaire :
Walter, jeune directeur d'un fonds d'investissement 
et son épouse la jolie Sophie
prennent deux individus en stop.
 
Ils n'auraient jamais dû...


J'enverrai par la Poste ce texte à quelques maisons sérieuses dont je peux déjà révéler le nom :
    • Sabine Wespieser
    • NIL
    • Tristram
    • La Différence
    • JC Lattès
    • La Fosse aux ours
    •  L'Arpenteur, Gallimard
    • Élan Sud
    • Alma éditeur
    • Naïve
    • L'iconoclaste
    • Des vanneaux
    • Du Sonneur
    • La Part commune
    • Editions du moteur

    J'aurai de leur part une réponse avant le début du mois de septembre 2013 (quoique j'aie dû attendre 19 mois qu'une maison me rende son avis sur un texte, record battu, mais réponse tout de même).
     

    Le fichier numérique auto-édité :

     
    Concernant les possibilités d'auto-édition sur Amazon KDP, ou d'autres sites (Fnac Kobo, Lulu, etc...) quelques questions se posent : Est-ce que ces sites doivent devenir le receptacle des rebuts ? Combien de maisons d'éditons pourront-elles recycler à l'infini de vieux manuscrits jamais édités, dont les vrais auteurs auront disparus ? Comment justifient-t-ils de leurs ventes réelles et donc des dividendes versées aux auteurs publiés ?

    De plus, je suis très réticent à l'idée d'offrir mon travail à la plate-forme Amazon d'auto-édition (KDP). L'attitude peu éthique de fraudeur fiscal patenté de cette société, révélée sur France 2 dans le reportage de juin 2013 d'Elise Lucet consacré aux exemples de fraudeurs fiscaux, m'ayant raidi contre cette méga-société mangeuses de libraires et de recettes fiscales de tous les pays dans lesquelles elle s'installe à coup de subventions. 
    Amazon court-circuite les circuits traditionnels de distribution du Livre, tout comme elle court-circuite les circuits fiscaux de re-distribution ? Alors court-circuitons les court-circuiteurs... nous sommes consommateurs donc co-responsables de cette situation. En France, cette concurrence déloyale ferme une librairie par mois.

    Préférons-leur le circuit-court, aller en bas de chez soi quand on le peut et si l'on habite la campagne ou la montagne (quelle chance) on peut commander ses livres et disques sur le site Place aux libraires qui fera travailler un libraire qui tient boutique et paie ses impôts, lui ! 


    Bonne lecture, n'hésitez pas à me donner votre premier avis de lecteur face à cette cruelle histoire. Place aux vrais éditeurs et Place aux libraires !

mardi 7 mai 2013

Pierre Debauche, Maître ès-liberté


Il y avait urgence pour tous "les anarchistes qui s’inscrivent à une fédération" à venir entendre encore, pour une dernière ou une première fois, la voix de Pierre Debauche reliée à la terre et accrochée aux étoiles, dans l’enceinte de la salle du Conservatoire de Paris. Le Maître Daniel Mesguich invite son maître à lui, pour deux soirées exceptionnelles à renouer avec la lecture mise en scène de ses œuvres poétiques “exercice ni fait ni à faire, qui consiste à débuter quand on est presque mort”, comme il le dit devant une salle debout. Debauche a toujours eu le triomphe lucide donc modeste.


Signe des temps où nous vivons, hier soir les promotions 2013 du fameux Conservatoire avaient préféré courir les castings au lieu de partager ce “hochzeit” ; et Mme La Ministre de la Culture ne se tenait pas derrière les rideaux, médaille de Commandeur des Arts et Lettres en main ; ça tombe bien : il s’en fout. Ce débutant de 83 ans qui s’est échiné tout une vie à trouver de l’argent pour monter ses pièces, écrit une fin à la Goldoni, éternellement pourchassé par de noirs créanciers quand d’autres font ripaille, bouffis de leur ministériel succès.

Il a été pour quelque soixante centaines d’acteurs et actrices depuis 50 ans l’éclaireur de leurs débuts, un immense phare dans la mer quelquefois dé-salée de l’arrogant et miséreux théâtre français, un connaisseur infini des partitions de la langue et leurs beautés déclamatoires. Ses mises en scène ont marqué des centaines de milliers de “vieillards sans courtoisie et fillettes sans chocolat”, spectateurs de “Ah Dieu que la guerre est Jolie” en 1972 à “Lear” en 2013, du Théâtre Sorano ou des Amandiers qu’il a fondés, parti sur les routes de Saint-Jacques avec ses élèves de l’école révolutionnaire de théâtre d’Agen. Admirateur et ami d’Antoine Vitez, enseignant tour-à-tour au Conservatoire de Paris et à la Comédie de St-Etienne à l’époque de Daniel Benoin, je me souviens qu’il nous lisait tous les lundis le manuscrit de “Flandrin, acteur” la pièce qu’il avait composée dans le train et créée par Daniel Mesguich à Lille l'année d'après, belle manière de commencer la semaine ; écoutons plutôt : 
Je dois interroger pour savoir la coutume
Ciels, toits, puits, bras, mains, fronts, fruits, voix, cœurs, cris, chants, brumes,
Secrets qu’il faut fouiller avant d’oser entrer
Dans l’espace aboli où grogne le sacré.

Je mets ce vieux costume où des acteurs moururent
On y plaint des frissons, on y lit des blessures ;
(...)
Les anges d’ici-bas sont battus comme plâtre ;
Quelque chose a blessé la douceur du théâtre ;
Les acteurs effarés y perdent leur “par cœur”.
Saisis, les figurants miment d’antiques peurs,
Se remettent debout pour saluer la foule
Et chacun dans sa bouche a des larmes qui coulent.
Vous, pierres du chemin, vous les admirerez.
Ainsi par dignité, comme eux, vous pleurerez.
Accourez de partout, voyelles et consonnes,
Des gosiers déchirés, des gorges qui résonnent,
Vous, verbes du savoir, inventeurs de l’amour,
Qui nommez la lumière et la beauté du jour,
Vous, les seize sons purs des voyelles qui dansent
En se posant les cris du cœur de notre enfance,
Voyelles du printemps quand l’hiver se dédit,
Voyelles du matin quand la nuit s’arrondit,
Grondez, vibrez, marquez ce monde inhabitable,
Petit troupeau des A qui trois fois trop aimables
Feriez croire au bonheur les soirs de pauvreté.
(...)
Les écoliers sont ils tous morts à Oradour ?
Leur œil fut effacé des tableaux noirs du jour
À vivre et des beautés dont il fallait s’éprendre
La leçon est finie et “l’instit” est à vendre.
Bousillés les plumiers, salis les tabliers
Et les plumes sergent-major dans les charniers.
(...)
J’ai fini de jouir, le cheval a henni.
Merci merci merci, lamma Sabacthani”
Larmes dans la salle. Steiner n’aurait pas dit mieux.

Et ce monument, dont la volonté farouche est celle de ne rester qu’un homme libre, était là, debout, fragile et nu, mais à la voix de marbre, comme on l’est bellement à l’arrivée d’un marathon de 70 ans de théâtre. Avec humour, surprise et colère intacte.
Qui est ce Pierre Debauche, disait Mesguich dans la préface aux Sensations insolentes, “un érudit, un fou, un juif ?”. Cet être insaisissable et insatiable, comme devaient l’être Maeterlinck ou Michaux, manque cruellement aux rayons des étagères entre ces deux-là, lui qui n’a jamais eu les honneurs de la NRF-Gallimard (un oubli éhonté) n’a que faire des insignes de la république des orgueilleux. Il aura par trop souvent, et volontiers, affronté les institutions et arpenté les plateaux avec la dimension intellectuelle d’un Strehler, in situ, sous les tentures et sur les tréteaux, à la suite de Jean Dasté, présent dans les diagonales du vide où le théâtre était absent, et pas dans les dîners en ville ou les “In” d’Avignon, festival chevelu, parvenu et trop snob à son goût.

Conservatoire de Paris, Lundi 6 mai 2013
Ce médium de l’ombre des désirs de l’acteur est tout sauf un marchand d’illusions, de ces dictateurs d’opérette libérés par Hollywood, de ces prétendus génies privatisés qui fleurissent trop souvent dans nos campagnes et compagnies, non : Tout acteur passé par ses mains savait les trésors à débusquer dans le petit espace de poésie que les muses ont malicieusement placé entre intelligence du texte et beauté du geste. Merci Pierre Debauche, vous êtes, vous avez été et demeurerez un Maître ès liberté.



Les lundi 6 et mardi 7 mai 2013,
2, bis rue du Conservatoire, Paris IX°,
entrée libre sous réservation.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Debauche

http://theatredujour.fr/

L'Ecole créée à Agen qu'il dirige depuis 1994
http://theatredujour.fr/le-theatre-ecole-daquitaine

http://www.cnsad.fr/site/page/accueil

Merci aux éditions du tarin d’avoir édité sous forme de trois petits cahiers données à l’entrée du Conservatoire les 77 poèmes de Pierre Debauche dits lors de cette soirée.
Merci à Daniel Mesguich.


mercredi 10 avril 2013

"Gagner sa vie" ou la perdre à la gagner...


L'air que nous respirons est chargé, d'interrogations, d'incertitude. Fabienne Swatly dans Gagner sa vie décrit le monde qui a basculé sous les années 80, les années Reagan/Thatcher, sous la forme d'un journal intime littéraire. Ce monde-là décrit par Swatly glorifie l'individu pour mieux l'écraser. Comment se construit la révolte de la narratrice ? Par connaissance de la théorie, par la lecture de Marx et Engels ? Non, par la vie comme elle est.

Les terrains de friche seraient les miens : cité du nord, pérégrinations au gré du marché du travail (quel terme ! nous rendons-nous bien compte de ce que nous disons ?). Elle verra que ceux qui prêtent leur temps en actions solidaires ou altruistes ne sont pas souvent payés de retour ; à l'usine, où l'on travaille sous les ordres, là où le temps de son corps est donné à la production, on est réglé par un chèque, et pas par la reconnaissance. 



Ainsi, comme par un fait exprès, le livre de Fabienne Swatly de 2006 fait écho à celui de Samira Sedira de 2013, que je viens de refermer. "Gagner sa vie" versus "L'Odeur des planches". Et tous deux sortent gagnants.
Là aussi nous assistons à un parcours de vie dont l'auteur n'a retenu que ce qu'il y a de meilleur, biographie de ce qui est subi, écrite  tout de même, avec tendresse toujours, de façon touchante souvent, au point qu'on aurait envie de prendre toutes les serveuses, toutes les ouvrières du récit dans les bras. Toutes ces femmes qui gagnent petit, qui gagnent dur. L'écriture de Fabienne Swatly rend amoureux alors qu'elle s'ingénie "trouver les mots qui mettent en colère".


  • "...c'est quoi comme travail, directeur de prison ?"

Le récit nous fait entrer par chapitres dans le monde associatif, commercial, industriel, carcéral. Tout sert en effet à une femme de 40 ans aujourd'hui qui a vécu cinq fois ce que vivaient les femmes du XVIII° siècle. 

La vie de ceux qui n'ont pas de spécialité est horizontale, riche s'ils ont la jeunesse et la santé pour eux, vide s'ils ne l'ont pas. 

L'usine ou Pôle emploi prend aux gens ce qu'aucun salaire ne saurait compenser, le temps du corps. Chair dont le thème traverse le texte de part en part, corps souffrant au travail, corps postés, corps blessés, corps enfermés. Ces corps dont parlait Michel Serres dans cet épisode la Légende des Sciences, comparant les peintres au tournant de la révolution industrielle. La vision du corps est idéalisée aujourd'hui que l'on est passé des âges de la Formation à celui de la Transformation puis à celui de l'Information. 



On aurait donc tendance à oublier ce que F. Swatly nous rappelle ici avec une douce force : tout n'a pas la subtilité de l'octet. Il y a une volonté de dissimulation, le corps est encore le lieu de la souffrance, les bêtes de somme sont toujours là, et pas qu'elles car il y a bien au moment où nous lisons ces lignes des enfants de 5 ans que l'on glisse par les tuyères des méthaniers pour qu'ils en décrassent les hydro-carbures -à six ans ils sont trop gros- au mépris de leur santé respiratoire, sinon de leur enfance tout entière. Roulons, roulons, c'est aussi au prix de l'asservissement d'autres humains et voilà que le piège se referme sur nous. C'est dire si le prix du litre est bien au-delà de ce qu'il paraît. 

Voilà comme on peut lire le roman de Fabienne Swatly "Gagner sa vie" ou perdre sa vie à la gagner. L'économie du roman va crescendo, avec une rigueur discrète qui nous emmène du particulier à l'idéal, du quotidien au manifeste, comme si la narratrice se révoltait au fur et à mesure que le texte avance. C'est à mes yeux la réussite de ce texte. 

Enfin, il faut saluer le beau travail d'édition et d'impression de La fosse aux ours, éditeur rhodanien qui privilégie la découverte de nouveaux talents.

"Gagner sa vie", de Fabienne Swatly
(Coup de talent FNAC, prix Léo Ferré), éd. La fosse aux ours.

jeudi 28 mars 2013

L'Odeur des planches. Quand le miroir se dérobe...

Ç'aurait pu être un roman, bien que récit. Un récit romanesque bien que témoignage biographique. Ç'aurait pu être un récit du désœuvrement, soulignant le cliché du comédien Sans-Théâtre-Fixe et sa déréalisation ; comme il y a des souffrances d'auteur sans éditeur.





Ç'aurait pu être le roman de l'effacement, de la dilution de l'artiste. Cela a même à voir avec la notion de gâchis que j'abordais dans mon précédent billet. Dilution dans le marché spéculatif des agences artistiques, de l'actrice qui pousse un jour, totalement solubilisée, lessivée, la porte d'autres agences, d'intérim.

Mais c'est plus que ça. Le cœur du récit de Samira Sedira est là, page 48, où l'artiste portraiturée en femme de ménage évoque sa disparition devant les miroirs qu'elle astique. C'est bien d'identité dont ce livre parle et de souffrances. Et avec légèreté s'il-vous-plaît, ce qui est d'une élégance bien venue tant le sujet est difficile (on pense au récent film Les Tribulations d'une caissière).

Identité sociale d'abord d'une actrice, dont toutes les infrastructures publiques de la collectivité avaient investi dans sa formation. Identité nationale d'une petite Oranaise arrachée comme tant d'autres qui furent attirés par le mirage français de la croissance glorieuse, en serviteurs du rêve de l'exil pour ceux qui restaient, artisans de leur propre engloutissement dans la bouche de Baal. Ils transmettaient à leurs enfants turbulents et joyeux l'espoir d'un mieux-disant matériel. Aujourd'hui ce sont des européens qui partent vivre en Algérie, 40 ans après...

La narratrice prend conscience avec la voix intérieure de l'écrivain, devant son fils qui la regarde frotter en dessinant, que cette idée de progrès indéfini a disparu ; que les enfants d'aujourd'hui, qu'ils soient immigrés ou non, ne vivront ni mieux, ni plus vieux, que leurs parents.

Cette douleur qui traverse tout le corps social lui donne des douleurs dans les os. Bien sûr pas tout le corps social, pas les gens qui l'engagent comme domestique.* Elle prend conscience à quarante ans de ce paradoxe que ne connaissent pas tous les comédiens, et surtout pas leurs élites : plus un travail est mal payé plus il coûte. Il faut être allé bosser au Mc Do ou dans des chiottes pour le savoir. Les reins brisés, les jambes fourbues, ce sont d'autres douleurs que celles endurées en plateau qu'éprouvera Samira. Il n' y a pas de métier facile. Mais tous ceux qui sont descendus de cheval se sont souvenus ce que valait une heure de travail : 9 € 40 brut.

Ce qui frappe à la lecture de Samira Sedira, c'est l'absence de commentaire sur soi-même, ou d'explication. C'est pourquoi on est plus dans l'écriture littéraire (quasi cinématographique) que dans le témoignage. Il y a du sens artistique dans la forme lorsqu'on passe, par exemple, du plateau d'un théâtre national à une chiotte (vous me direz que, des fois, franchement, c'est sans transition. On ne fait pas toujours la différence, en effet...). Samira Sedira a une écriture qui parle à l'oreille et aux tripes, privilège de ceux qui savent écrire.

C'est un livre d'une impudeur saine et courageuse. Le renoncement forcé à la scène et son artisanat pour le chemin balisé et mécanisé des trains de banlieue et des chiffons, est d'autant plus frappant que l'auteur incarne ce paradoxe contemporain : l'extrême fragilité de l'extrême compétence. Fragilité du seul capital qui ne produit pas de désastre, le patrimoine intellectuel, le talent. Mais qui prête à rire n'est pas souvent remboursé, disait le poète inspiré.

C'est parce que les artistes et toutes les personnes actives sont plongés dans un bain bouillant appelé "marché du travail" qu'il y a, nécessairement, des rebuts humain, du gâchis. Et cela finit de ne plus choquer personne. 

Sans jamais avoir l'air d'un manifeste, le livre de Samira nous emmène dans le quotidien digne, ô combien sensible, de sa petite vie qui est belle, qui sent les effluves du bord de mer, l'odeur des planches.


Or, ce livre en est bien un.


Sa facture est celle d'un récit intérieur et émouvant, où Samira ne peut masquer la température de sa révolte ; celle-là même qui produit les plus beaux fruits quand elle ne se fracasse pas sur les murs des commissariats. À frotter avec des produits chimiques on perd quelquefois la vue. L'art nous rend cette vue. Et si l'odeur des planches, elle, a disparu, n'ont pas disparu les espoirs de revanche, les rêves de naissance et de renaissance. Cet ouvrage en est peut-être le signe.


"Quand on me demande quelle est ma profession, je réponds tout en ayant l'impression d'usurper l'identité d'une autre que je suis comédienne. Le charme opère immédiatement, 
Ah quel beau métier ! Et dans quoi jouez-vous en ce moment ? 
Silence. Grand trouble sidéré." (p. 116)



Samira Sedira. Salon du Livre 2013. France-Culture.

Maintenant, il faut que je sois honnête avec le lecteur. Je ne suis pas un lecteur indifférent de Samira Sedira, car je l'ai connue naguère, alors que nous avions vingt ans, à l'Ecole de la Comédie de St Etienne, en 1989-90, époque à nulle autre pareille. Nous entrions pour deux ans dans cette fantastique école professionnelle de théâtre, nous assistions au premier Festival de la Convention Théâtrale Européenne et ce, pendant que le mur de Berlin tombait. Ça laisse quelques traces.


Je me souviens d'une comédienne malicieuse, un brin moqueuse comme j'étais un brin timide, et que je n'ai jamais pu rencontrer réellement. Elle n'est pas devenue une amie, parce qu'on ne se connaissait pas et qu'il y avait sûrement beaucoup de malentendus. Par la suite, nos parcours furent très dissemblables, quoique l'issue actuelle plus semblable. Nous ne jouons plus, nous écrivons. Comme nos camarades de promo Laura Desprein, Sophie Lannefranque, Renaud Lebas et récemment Fabrice Talon. Nous essayons de tenir un peu mieux les rênes de nos destinées que n'en laisse espérer la condition d'acteur aujourd'hui.

Les femmes dont elle parle, Samira, je les connaissais aussi. Elles habitaient en bas de chez moi. J'allais en nourrice chez elles à cette époque où je ne faisais pas encore de théâtre, ni ne savait que ça existait le théâtre, ni encore moins la littérature dans ce quartier où les flics ne vont même plus aujourd'hui. Mais Samira ne tombe à aucun moment dans cet écueil des excuses un peu vite invoquées, et il faut lui en être reconnaissant.

J'ai bien connu comme elle, et peut-être à un point plus avancé encore, le déclassement, l'exclusion sociale. Comédien devenu "has been" au lendemain d'avoir été un "espoir" et encore, même pas. Au lendemain de rien, sans transition ou presque. Samira Sedira a eu un parcours d'actrice au théâtre et pas des moindres. 

J'ai connu pareil déclassement plus tard vers trente ans, avec l'impossible excuse avancée par certains d'aucune discrimination basée sur mes origines. Le livre de Samira Sedira -et c'est agréable- ne tombe pas dans cet écueil, cette facilité. Je ne pourrais m'appuyer sur une gloriole passée, même fugace. Samira Sedira le fait par touches, avec modestie, ce qui fournit un contraste aveuglant à la photo qu'elle fait. 

Non, pour ma part, rien ou presque de spectaculaire. La discrimination sociale n'a pas de couleur, l'absence de réseau social des parents est un vrai handicap, l'absence des minimums de moyens matériels permettant à un jeune artiste de s'installer quelque part... tout cela agit aussi sûrement et avec autant de nuisance des deux côtés de la Méditerranée.

Il y a une aristocratie du milieu théâtral et celle-ci n'aime pas beaucoup qu'on la nomme ni qu'on la combatte. Appelons cela "l'arTistocratie". Mon parcours chaotique que je n'ai pas eu le talent de faire publier gênerait assez aux entournures si je le publiais, car  il ne prêterait pas non plus le flanc à ce constat des discriminations racistes au déclassement. 

J'ai, pour la coterie des petits pourfendeurs d'injustice, de rédhibitoires défauts qui ne font pas d'étincelles : picard, aux origines cathos... rien quoi... aucune aspérité particulière où accrocher une mauvaise conscience coloniale encore vivace. Et puis surtout, j'étais sûrement l'incarnation d'une discrimination plus taboue encore mais non moins cinglante que le racisme : l'origine socio-économique.

Samira Sedira et moi étions tous deux jeunes acteurs issus tous deux des quartiers populaires, où elle avait appris de son côté à avoir peur de la Police et de mon côté à avoir peur des Algériens. Il devait m'en rester quelque chose quand je n'avais que 20 ans. Ceux-là, nombreux dans nos classes de fils d'ouvriers, nous voyaient comme des maîtres, des riches, des dominants, parce que nous étions nés Français en France de parents Français. À Amiens, en 1976, ça ne faisait que 14 ans que cette guerre était finie et les esprits étaient encore échauffés, à juste titre...
Nos parents respectifs travaillaient dans les mêmes usines au coude-à-coude mais nous nous faisions copieusement insulter de "poules mouillées", des "sales français", et ceci tous les jours ! (cf. p. 98, une des plus belles). On se sentait menacé de rentrer le soir avec un gnon, de se faire déculotter en public, ou se faire crever les bouteilles de lait que nos parents nous envoyaient chercher. C'était usant.


Je sais donc ce qu'est la bêtise du racisme, et la colère des adultes répétées par des enfants ignorants les causes sociales et historiques dues à un siècle d'occupation de l'Algérie par la France. Cette précision est totalement hors-sujet par rapport à son livre, mais on n'a pas tous les jours l'occasion de lire le premier livre très réussi d'une camarade.


* L'Observatoire des inégalités en 2012 : 37% des jeunes d'origine étrangère sont au chômage de longue durée, alors que leurs parents travaillaient tous.


L'Odeur des planches de Samira Sedira, 
Ed. La Brune au rouergue 135 pages. 2013


lundi 25 février 2013

L’Homme aux mains rongées

Mon précédent billet "Mourir debout ou vivre à genoux" faisait référence au livre de Jean-Paul Galibert. Mais cet ouvrage a eu un tel effet sur ma conscience que je ne pouvais me satisfaire d'un billet apologétique.


Je tente d'y apporter ma pierre, mais Suicide et Sacrifice n'en reste pas moins une référence à se procurer de toute urgence. 

Pour être court et empreint de cette vertu explosive qu’on ne peut lui reprocher, il passe à côté d’un élément capital impensé, ou au moins non évoqué : le gâchis.

Plusieurs figures auraient pu être mises à profit pour illustrer l’hégémonie du néo-libéralisme sur nos vies à nous, êtres médicalisés et occidentalisés, en particulier celle du vampire.

Kronos a préfiguré celle-ci avec Baal qui recevait les offrandes d’enfants vivants. Kronos dévore ses enfants et emporte avec lui leur rire dans la tombe, tempus fugit. Or, la dévoration est une des angoisses de l’hommme les plus archaïques. Son omni-présence aujourd’hui peut expliquer cette anxiété généralisée où sont plongés les hommes, anxieux bien avant d’être suicidaires.

Goya, Kronos dévorant ses enfants.

L’hypercapitalisme dont parle Galibert produit et même surproduit. En surproduisant, il entraîne une casacade de conséquences ô combien néfastes pour l’homme et son environnement, à l’arrière des magasins : la déjection. Pour vanter le mobilier d'un resto, on prend rarement une photo de ses chiottes. Et pourtant...

Que rejete-t-il ce capitalisme dévorateur ? Des matières transformées et usinées, certes. Mais aussi les gens dont il n’a plus besoin, soit parce qu’ils ne sont plus aptes, soit parce qu’ils n’ont pas trouvé leur place dans la société qu’il surchauffe et qu’il met en état de régression anthropologique.

Ce gaspillage est la face verso de cette pièce de monnaie qui brille tant par sa capacité à produire et à innover. C’en est même l’effet secondaire au premier chef. Une des conditions non-avouées de la surproduction. 

Mais pire. Ce qui affecte l’homme et le rend fou est la conscience de se savoir vidé de sa substance. Ça, c’est le gâchis. 

L’hypercapitalisme se comporte comme un Dracula qui s’engraisse et laisse ses victimes dans un état végétatif : l’état suicidaire est non seulement une triste stratégie de défense, où l'être humain sain et sociable se replie en observation pour éviter d'être en prédation, mais c’est aussi le résultat mécanique de ce gâchis endémique, de la permanence de la non-utilisation de ses ressources, des savoirs acquis, de sa culture. 

Du danger de l’inutilité sociale vient cette angoisse fondamentale de ne plus exister du tout, et de vivre sans exister. 

le comte Vlad Drakul http://gvisy.free.fr/article.php3?id_article=39


Le chômage lui, peut être transitoire. Mais je pense pour illustrer ma pensée à cet altiste de haut niveau, médaillé du Conservatoire supérieur, qui ne put se payer un instrument d’exception, et qui arriva toujours second aux concours dans les orchestres nationaux où lui seront préférés un riche altiste Coréen ou Américain, mécéné par une banque, etc (plus on vient de loin mieux c’est pour les représentations mentales des snobs) et qui finit par aller donner quelques heures de cours -à 700 km de chez lui- dans un collège où son niveau musical ne pourra ni s’exprimer ni être perçu. Ce gâchis humain là est irrémédiable.

C’est le broyage d’une personne, désorientée de son désir d’utilité premier, formée pour une fonction spécialisée, quelquefois par l’Etat, au prix d’un investissement de la sphère publique conséquent, et qui n’a pas pu trouver d’emploi réel, de débouché adéquat, épanouissant et pérenne, qui n’a pu mener à bien ses projets pour des raisons quelquefois annexes, tenant au manque d’implantation, au déficit de réseau social de ses parents, ou même simplement par manque d’accès à un logement, par cette souffrance chronique d’être toujours un peu au-dessous du seuil fatal à toute réalisation de soi, le fameux seuil de pauvreté de 880 euros / mois...


Ce gâchis mène à la psychiâtrie bien sûr, par une dévalorisation de l’être social, par une perte immédiate de sens à son projet initial. 

Le suicide alors, comment s’étonner qu’il soit si présent, est une forme radicale du refus de l’inacceptable devenu quotidien : le gâchis de l’intelligence individuelle et collective, le gâchis de toute cette culture transmise, de toutes ces capacités à faire le bon, le beau, le bien.

Comme ce musicien, nous le sentons, nous perdons peu à peu l’usage de nos mains. Très jeunes elles ne servent plus guère qu’à actionner une manette où le but sera d’en tuer le plus possible. En vidéo à Paris. Mais un jour sur le terrain à Alep. 

L’homme aux mains rongées est celui malade de l’hypercapitalisme, de l’hyper-concurrence, qui nous plonge dans la gueule béante de Baal, suce la fraîcheur de notre sang par ce Dracula systémique, nous ronge petit à petit comme une lèpre de l’esprit.


Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017