mercredi 9 avril 2014

Souvenir d'un Don Carlo (concours littéraire de l'Opéra de Paris)

Je publie ma participation au concours littéraire de l'Opéra de Paris. Voici mon hommage aux acteurs lyriques, à la grandeur tragique de leurs personnages, à la mise-en-scène d'opéra et à ses lumières souvent fabuleuses.
Il est dédié à une scène que j'ai eu la chance de voir répétée puis chantée des dizaines de fois, devant moi, à quelques centimètres de moi. Etaient réunis cet homme que je trouve admirable, le baryton Ludovic Tézier et le ténor italien le sympathique Stefano Secco.


Où scintillent les Hommes
(réminiscence d'un Don Carlo)
 

Une onde, un flot sonore, comme une mer qui vient mourir sur les flancs de la prison. Un rideau s’ouvre sur le suintement des murs. Les violoncelles le disent qui transpirent eux aussi. Ce monde sans liberté est souterrain où les complots s’ourdissent. Une clarinette se rappelle à l’espoir de Carlo enchaîné. Nulle colombe, rien au soupirail. Un bleu nocturne le dispute à l’obscurité du drame. Qui donc allait advenir ? Verdi nous suggère qu’une dernière porte s’ouvre sur la nuit.


Devant l’huis sombre, colossal de douceur et de paix, le Marquis de Posa s’avance le long d’une raie de lumière et découvre son ami. Une dépouille. Un lambeau d’homme placé aux fers. Quel effroi. Que t’ont-ils fait ? La voix de l’ombre porte sa lumière de baryton. Le messager de la Flandre tend le bras. Il se prépare à ces déchirements dont on ne revient pas. Seules les cordes font vibrer l’air chaud. Le ténor a des inflexions douloureuses qui nous suspendent à son chant, à la fois larmes du présent et sourire des années passées ensemble. Cette ligne de crête fragile, la justesse d’un orchestre donné piano et la rondeur cristalline des deux voix, me laissent dans une sidération que je ne crus jamais éprouver.

Je me retourne un instant ; et alors que je me croyais seul au monde, créateur de cette scène, rêveur privilégié de cette histoire, pas un spectateur ne manque à l’appel : la salle de la Bastille se soulève d’une même poitrine. Nous sommes sublimés par le chant de liberté et de fraternité de Carlo et de Rodrigo, de Stefano Secco et Ludovic Tézier. Ils vivent sous nos yeux ce que vivent deux amis que la mort ou le devoir séparent un jour. Nous étions avec eux. Nous sommes eux.

À partir de ce moment, Ludovic qui chante Posa tient son ami Stefano qui chante Carlo par un long souffle qui jamais ne semble finir. «Il convient ici de nous dire…». Mais Posa ne trouve pas les mots, ou n’ose les prononcer. Son hésitation résonne comme un balbutiement d’éternité. Il ouvre par ce silence un dialogue, entre le chant de l’homme et le silence de dieu. Les cordes alors accompagnent ces paroles qui n’adviennent pas ; de celles qui contiennent l’amour de l’un pour l’autre. Il convient ici de se dire adieu. C’est dit.

Posa pose alors pas-à-pas, jusqu’à nous, chaque syllabe dans la lumière du couloir, en ce jour suprême. Ses harmoniques nous enveloppent. Comme seul il est possible à l’opéra, une bulle se forme autour de lui. Et c’est à ce moment-là du serment de Posa qu’un éclat nous replonge : un arquebusier caché. Plus jamais ils ne se reverront.

C’est le mot de l’Opéra, ça : Jamais. Giammài. Le tireur habile que Verdi a placé là prive Rodrigue de ses projets de paix, et Carlo de son meilleur ami. Carlo engeôlé le cajole encore, lui tient la tête, la lui caresse. Peut-être.

La terre se dérobe sous nos pieds. Ma voisine laisse tomber son programme. L’opéra se grave dans le cœur à faire entendre le souffle de chaque être. Angélique, abominable, vainqueur. Blessé, désespéré, amoureux…

Le Marquis de Posa redevenu Rodrigo, un temps si altier, redevenu à temps pauvre humain, accuse un effort haletant. Plus tout à fait vivant, pas encore éteint. La plus haute vibration de sa voix envahit soudain la salle : il faut sauver la Flandre. Le baryton se redresse, tremblant, halluciné, cherche le regard de son ami. Un «Ah !» abrupt, tranché dans son envol, ouvre sur le néant : douleur adamantine de qui perd la vie, il nous laisse au bord du précipice. «Ah !».

Sa grande résonance dans le vide me parvient encore aujourd’hui. La paix du sépulcre a vaincu, nous sommes orphelins, viva Verdi.




 2011, à Paris-Bastille.

Merci à mon ami Benito Pelegrín : c'est bien un arquebusier qui tire sur Rodrigo et non le "spadassin" qui a concouru, lequel n'aurait pas le bras assez long... car c'est ainsi que Verdi a annoté sa partition.

jeudi 30 janvier 2014

Le défi de L'Amour d'écrire en public. (27 janvier 2014)


Ma première participation à la soirée publique d'écriture s'est déroulée ce lundi 27 janvier 2014. Il y avait du beau monde, en tout anonymat, comme sur un nuage. Il est des instants de la vie qui sont comme ça. Fluides. Ouf... heureusement qu'il y en a.

"...un événement vraiment spectaculaire,
émouvant, frissonnant.." 
Matéi Visniec
La soirée parisienne L'Amour d'écrire en direct de Marc-Michel Georges en était à sa quarantième-et-unième édition. Nous avons eu l'honneur d'être observés par l'écrivain Matèi Visniec. J'ai rencontré des gens charmants et émus, parmi d'autres émouvants, comme Eric Dominique Mabille spectateur ému rencontré ce soir, ou encore Triboulet, vous savez, le poète punk...


Marc-Michel Georges dit MMG

J'ai eu envie de consigner mes textes à leur état brut, tels qu'ils sont sortis ce soir-là. Je vous préviens, c'est une totale improvisation où il vaut mieux ranger son ego au placard...






Alors les voici, sans correction aucune, ces petites fantaisies spontanées, d'inspiration quasi-automatique. Ils sont plus à dire qu'à lire, puisque l'exercice consiste à dire le texte encore chaud du four. 

Le premier est issu de cinq mots donnés par le public. 



Allô. Tablette. Philarmonique. Honte. Traduction

I.
Depuis quelques mesures enfin cet orchestre résonnait. Ces accords comme l'aboutissement de tout notre monde. La crème de ce que compte Paris, contributeurs contrits, mécènes à bout de souffle, huiles ; mais qu'est-ce qu'un Ministère sinon une variété d'huiles ? La crème apparaissait sous ses plus beaux atours ; la bâtisse tenait debout, vibrait en syntonie, et pendant ce temps, le petit Parisien à ses abords lançait un caillou devant lui. -Beethov en avait les larmes aux yeux-
Affairés, MM. les ambassadeurs sourdingues, et Mmes les gourgandines de haute-volée, plus épris d'architecture que de muse sonore étaient restés au buffet froid. Tout honte bue.
Mêmes les journalistes, penchés sur leurs tablettes, ignoraient les sublimes dialogues entre violons et clarinettes. Cette "Philarmonie" qui avait couté tant de sueur, tant de labeur, avait pour elle la traduction architecturale des œuvres qu'elle allait enfanter. 350M€ ! Allô ?

Le Titanic au dehors prenait eau de toute part, et comme toujours en pareil cas, les musiciens continuent de jouer !

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Le second exercice consistait à écrire à partir d'une personne 
issue du public. 
(Que ce monsieur, Joël, soit ici remercié)



II.
Daniel a eu un père admirable. Il l'admirait tant et tant qu'à la fin de lui même il ne restait plus rien. Qu'un enfant perdu derrière ses épais carreaux, trop gentil pour se battre, trop joyeux pour s'arrêter. Ses lunettes, il ne les nettoyait jamais. Pour que son soleil de père ne l'éblouisse pas trop. 
Petit espiègle il avait en tête d'amuser la galerie. Compter fleurette, c'était trop pour lui. Les minettes que Papa faisaient glisser jusqu'au bord de son lit il les photographiait par la serrure. 
Depuis que maman était partie, depuis que le travail avait volé le temps de son corps à l'usine Papa avait une soif... 
Alors le petit Daniel Kasynski qui rêvait aux photos de la Pologne, aux yeux bleus de sa grand-mère était devenu photographe. Les photos derrières ses optiques embuées donnent depuis des miracles de lumière.
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Le troisième défi consistait à écrire, 
toujours en cinq à sept minutes, 
un texte à partir d'un titre, donné par Marc-Michel.

III. "Petit boulot pour vieux clown"

Le maniement du balai se prête parfaitement à cet exercice, pour un vieil artiste de cirque. Jamais il ne l'a quitté ; que ce soit au travers des tournées que le grock a pu faire, d'abord en Suisse à toute vitesse, où toujours l'instrument fourbi d'une brosse de paille faisait son office, après chaque numéro, lorsque le public s'en fut parti ; mais aussi avant chaque numéro. Car pour qu'un numéro soit réussi il faut que l'espace soit propre. 
Clown, balayeur des nos esprits encombrés ; raidis par le sérieux de nos postures, bien engoncés, enfoncés, le sauveur de service. Alors reprendre du service... 
Quelle reconversion ? Rien que le changement dans la continuité. Tout est bon dans le cochon, l'artiste sait faire flèche de tout bois, faire un balai de toute flèche ; alors... parvenu à un certain âge emphytéotique, quand il ne reste plus qu'à dépoussiérer la dalle, un dernier tour de piste, qu'au moins la place soit nette et que le voyage soit drôle ! Mesdames et Messieurs, un très vieux clown, applaudissez le courage !


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La vidéo de Doris Streibl 

<iframe src="//player.vimeo.com/video/86135965?color=ff9933" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen mozallowfullscreen allowfullscreen></iframe> <p><a href="http://vimeo.com/86135965">L'AMOUR D'ECRIRE EN DIRECT</a> from <a href="http://vimeo.com/user9377388">doris streibl</a> on <a href="https://vimeo.com">Vimeo</a>.</p>

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Merci au public du Pan Pier ce soir-là de m'avoir élu vainqueur, à égalité avec le triple champion de l'affaire, Nicolas Arnstam. Depuis, on m'écrit... et j'aime ça.




N. Arnstam en signature de sa pièce aux éditions Mandarines,
Tom. 

mardi 7 janvier 2014

Chers Enfants, Comme à tous les enfants du monde, je souhaite...




" Chers Enfants, 
Comme à tous les enfants du monde, je souhaite un bon voyage sur le chemin de l'école. Je vous écris d'Europe, de ces beaux pays où l'école a des droits et des moyens égaux à ceux donnés aux armées, où les Droits de l'Homme et de son expression sont érigés en principe. Des principes dont on vous parle peut-être en ces termes dans vos ouvrages d'école.

Nous de ce côté du monde, vous voyons par sentiers escarpés, par plaines desséchées, par vaux marécageux, aller vers votre avenir. Nous qui allons carrossés, pensons à vous, qui allez à pied. Et c'est vous qui êtes bienheureux, soyez-en sûrs. 

Au XX° siècle, notre côté du monde a tout industrialisé. Même le crime. 
Vous êtes à l'état bienheureux où l'homme dompte dignement la nature mais sans la plier ni l'insulter. Parce que vous avez les pieds sur le sol, nous qui sommes artificialisés et ne touchons plus terre, nous devrions vous porter un regard de compassion ? C'est comme si l'on montrait aux poules élevées en batteries que leurs congénères élevées en plein air doivent avoir bien froid. Des poules le croiraient. Pas des Hommes.

Faut-il à ce point qu'on veuille nous distraire de notre véritable condition ?

De ce côté du monde, les mamans attachent leur tout-petit aux poussettes qui les mènent, en roulant, chez une nourrice. Elles les y laissent chaque jour et partent gagner ce dont la nourrice a besoin pour vivre. Vos mamans ne feraient jamais ça ? 

De ce côté du monde, les enfants avalent le matin un bol de lait chauffé aux ondes électro-magnétiques. Bien sûr, leur maman les couve du regard. Ce lait vient d'une usine où des vaches sans cornes vivent, mangent, vèlent, et meurent. Pour qu'elles produisent plus et plus longtemps, on leur retire leur nouveau-né à la naissance-même, avant qu'elle ait pu le lécher, et ça, on ne le dit ni à nos enfants, ni à leurs mamans. Vous qui voyez encore naître des chevreaux et des veaux, vous ne feriez jamais ça ?

De ce côté du monde, nous avons industrialisé le vivant, graines et animaux, et nous nous nourrissons de mammifères et d'oiseaux malheureux dont nous ne respectons ni la naissance, ni les conditions de vie, ni les besoins.




Et nos enfants partent ainsi à l'école, souvent grognons, en bus, en train, en car, en métro, en voiture, en roulant, en râlant, le ventre satisfait, tandis que vous, vous marchez beaucoup, satisfaits d'arriver après de longs et durs chemins d'école. 

De ce côté du monde, nous passons de l'appartement au bus pour se rasseoir en classe ou au bureau. Votre corps est en mouvement. Le nôtre est à l'arrêt. Vous marchez, marchez, 
et en marchant vous apprenez. 


Ici, tout le monde roule, roule, mais il faut aller à pied jusqu'à la voiture, jusqu'au au métro, derrière ces monstres qui brûlent leur huile et nous en infectent les poumons et le sang un peu plus chaque matin que nous roulons. 

Chaque litre de pétrole brûlé ajoute à ce que nous appelons notre croissance, car de l'argent a été échangé. Chaque minute travaillée aboutit à quelques litres brûlés. On appelle ça la richesse d'un pays. Nous avons de drôles de mots quand vous croisez de drôles de zèbres.

Du coup, de notre côté, l'air est brun le matin. C'est le signe des pays qu'on dits riches. L'air brun.




Vous avez emporté contre vous le goûter, le repas qu'il faudra partager sur le chemin. Du pain que vos parents ont cuit hier, encore humide à l'intérieur, du fromage de votre brebis, une feuille de salade achetée au marché local. 

De notre côté du monde, les enfants vont à la cantine manger dans une salle blanche et propre mais bruyante comme une gare, où leur sera servi un repas équilibré. Une tomate, du pâté de porc ou de volaille, un cassoulet de saucisses et de haricots, un yaourt au caramel, une pomme. Quelle chance vous direz-vous. 

La pomme au cours de sa vie sur l'arbre n'a jamais vu la pluie. Elle a été arrosée cinq fois. Une fois pour tuer les mouches, les abeilles et autres insectes viennent butiner la fleur, l'insecticide. Une fois pour tuer les champignons, le fongicide. Une fois pour tuer les vers, un nématicide. Et lorsque la pomme est grosse, une autre fois pour tuer les oiseaux, un corvicide. Son pommier lui, boit une eau traitée par un herbicide, pour tuer les plantes qui poussent à l'ombre de tous les arbres. Tous ces produits aussi participent à notre richesse. La pomme chez nous est une meurtrière qui a déjà tué cinq fois. La pomme brillante et dodue, croquante et sucrée, porte les habits de la mort. Et nous qui n'avons pas loin à aller pour rouler jusqu'à l'école, sommes bien obligés de la manger. Vous ne feriez jamais ça ?



Il en va de même pour les tomates, les saucisses et le pâté. Je vous passe les détails de la vie des cochons. Ils vivent un peu comme nous en Europe. Les uns sur les autres, sans voir le soleil ni respirer l'air des prairies. Ils se dévorent entre eux alors on leur arrache les dents, et on leur coupe la petite queue en tire-bouchon. Ils sont traités comme la pomme, mais à renfort de vaccins et de piqûres aux antibiotiques pour ne pas que leurs atroces conditions de vie ne les achèvent avant qu'on les abatte. On vient à leur souhaiter d'être abattus au plus vite. Car il faut que leur viande malgré la non-vie qui règne autour de lui reste vendable et mangeable, entre l'école du matin et l'école de l'après-midi. Vous ne feriez jamais ça ?

Pour acheminer ces repas de ce côté du monde, il a fallu que des milliers de camions viennent d'une région pour la tomate, d'un autre pays pour les haricots, fassent des centaines de kilomètres de route et brûlent des milliers de litres encore pour arriver vers nos villes, à l'air si brun.

Le pâté la saucisse, si bien cuisinés, bien réchauffés, servis dans des assiettes relavées dix fois n'ont-ils pas alors un petit goût de métal, de pétrole, et de souffrance aussi ? 



Alors, de ce côté du monde, il nous reste à lever les yeux au ciel, ou dans nos urnes, pour espérer. Nos urnes funéraires comme nos urnes électorales. Quant au ciel, les avions laissent de telles traînées blanches que ce pourrait être de beaux dessins ; c'est du sulfate de baryum, censé empêcher l'atmosphère de se révolter contre toutes ces fumées que nous faisons depuis cent cinquante ans. L'empêcher de se réchauffer trop vite et par là, de dévaster vos campagnes par ses typhons et ouragans. 

Comme le bruit aurait remplacé la musique, la lutte contre la nature a remplacé l'harmonie avec elle. Elle gagnera sûrement à la fin. Ou nous perdrons très tôt. C'est au choix. Et nous vous emmènerons avec nous, qui n'y pouvez rien.


Vous respirez le grand air des pampas, des steppes, mais nous qui voyons le film de vos vies, on vous présente à nous comme des malheureux courageux. Courageux, dignes, oui. Malheureux, désorientés, non.

Car vous donnez du sens à votre équipée, vous voulez apprendre à lire et faire par vous-mêmes, et c'est ce qui donne la force à vos jambes d'avancer. Nous de notre côté, ne sommes pas sûrs d'avoir un travail après avoir appris un métier. Cela nous angoisse, et certains tombent dans la désespérance comme pour achever, eux aussi, au plus vite leur voyage. Ils sont 11 000 en France tous les ans. Je suis certain que vous ne feriez jamais ça.

Mais c'est en continuant de rouler carrossés vers l'école, de respirer l'air empoisonné des villes que de notre côté du monde nous continuons sans nous révolter à manger de la souffrance et de la mort. C'est ainsi que vos petits camarades vivent en Europe. Parce que ça rapporte de l'argent aux usines. Beaucoup d'argent. 

Vous vivez dehors, ils sont enfermés. Vous vivez à l'horizontale au village, ils vivent séparés par les étages. Vous partagez, ils ont un petit sachet individuel en aluminium plastifié qu'ils jettent à la poubelle.





Vous respirez l'air des lions et des girafes que vous frôlez de près. Ils partagent l'oxygène avec les moteurs sur les routes. Vous risquez votre vie sur le chemin. Ils risquent la leur en ayant, comme vous le soir, peur des loups.

Nous vous pleurons sur grand écran, et moi je vous envie. Votre dos à n'en pas douter sera plus robuste et vos jambes moins grasses que celles de nos enfants. Elles vous porteront loin et mieux. Vous resterez maîtres de vous-mêmes, car lorsque votre véhicule que vous rêvez d'avoir tombera en panne, vous ne souffrirez pas de son absence. Lorsque le pétrole viendra à manquer et sera trop cher même pour nous, vous saurez utiliser l'énergie des animaux et du sol. Vous retrouverez ce que nos enfants ne connaissent pas. Les éléments, la terre, votre climat. Vous nous verrez peut-être alors faire main basse sur vos plants et vos fruits, que nous ne savons pas cultiver. Nous ferions ça, soyez-en sûrs.




Vous avez comme tous les enfants du monde les nobles rêves d'aider la société des humains à avancer. Je les reconnais comme les miens. Mais si nous avons ici moins de distance à parcourir pour aller chercher de l'eau potable ou aller à l'école que vous, nous en avons peut-être autant que vous dans le temps d'une vie pour trouver à exercer un métier et avoir un logement. Nos enfants et nos parents et nous-mêmes avons quelque fois abouti des études passionnantes dans nos écoles, pour finir par occuper un poste répétitif de caissier ou de téléphoniste dans nos espèces d'usines modernes où le salaire minimum autorisé nous donne juste de quoi payer la location de notre sommeil sous son toit. Car nous sommes une dizaine de millions de personnes en Europe à n'avoir pas de maison. 

Notre chemin aussi est ardu. Je ne dis pas l'un plus que l'autre mais différent.


Gardez votre liberté de penser et d'agir. Faites comme ces paysans indiens qui ont refusé de faire pousser des graines qu'on leur offrait mais dont l'origine leur était inconnue. De grandes entreprises de chez nous ont ainsi piégé des millions de paysans dans le monde en leur donnant des graines stériles qui ne pouvaient être replantées mais seulement ré-achetées ; puis des produits maléfiques pour les sols car il font tout pousser, comme chez nous, même sans soleil. Ils durent les arroser tant et tant que leurs sources se sont taries. Vous ne feriez pas ça ?



L'école est le plus belle chose du monde. Trop d'enfants en sont éloignés ou privés, et surtout des filles. Trop d'enfants travaillent, on dit 100 millions, et certains petits nettoient les cuves des pétroliers qui acheminent notre liquide pour rouler. 

Faites en sorte, grâce à l'école, de garder un œil sur vos livres toujours ouverts, et un autre sur vos semences, vos sources, et votre terre. Soyez, s'il-vous-plaît libres et forts. Ne suivez pas notre exemple. Alors nous vous regarderons encore avec admiration, et bientôt avec envie.





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Cf. deux ouvrages documentaires. "Sur les chemins de l'école" de Pascal Plisson qui a résonné longtemps en moi. J'ai ensuite dévoré, lu et relu le livre tiré des entretiens de Coline Serreau, cette artiste polygraphe, avec des agronomes, des paysans érudits et altruistes.  



Ce livre est essentiel pour commencer de relier dans notre esprit ce qui d'ordinaire ne l'est pas : Les causes et les effets de notre alimentation sur les Hommes et sur la nature.

Sujet hautement tabou sur lequel nous fermons les yeux. Car c'est en effet à perdre la vue. 

Le documentaire "Sur Le chemin de l'école" a été montré aux enfants par des parents urbains soucieux de leur montrer en quoi ils étaient bien chanceux de ne pas faire ici tant de kilomètres pour aller à l'école. 


Télérama a écrit dans le même mouvement : "Le film n'insiste pas sur la dureté évidente de ces vies". S'il n'est pas faux de le dire au sujet du film, qui est remarquable, le commentaire est bien subjectif. Je m'inscris en désaccord profond avec cette vision ethno-centrée. Ce film aborde les questions d'égalité hommes-femmes, de handicap, de développement. Il nous montre surtout en creux l'inhumanité évidente de nos vies à nous.

Il faudrait dans l'idéal réaliser un contre-film, illustrant la vie de fou que peuvent vivre les enfants (et les adultes) des grandes métropoles européennes, américaines, chinoises ou japonaises. 



J'ai donc pensé m'adresser à ces enfants vu sur cet écran, en leur parlant des nôtres. (traducteurs d'espagnol, arabe et hindi, bienvenus)





































Plan International : me contacter pour un parrainage
Aide et Action : http://www.aide-et-action.org/




vendredi 6 décembre 2013

Ne pas s'assir, et sorteoir

Une amie m’a raconté une histoire qui m’a frappé.

En Sorbonne, dans les années 70, un  jury d’Agrégation de lettres recevait une jeune femme
venue passer son examen oral.


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Celle-ci s’approche de la table, et timide :


  • Je peux m’assir ? fit-elle au jury...
  • Non, mais vous pouvez sorteoir, lui répond le président.


Ce beau jeu de jambe dans la répartie a bien amusé les professeurs des facultés durant de nombreuses années, et aura effrayé aussi sûrement les étudiants, un peu plus qu’ils ne l’étaient déjà. L’impétrante a donc sortu.

Ces éminences parisiennes ne savaient pas que c’est ainsi qu’on parle au nord de Compiègne et jusqu’à Lille à une époque où pourtant les patois étaient plus vivaces qu’aujourd’hui. Tous ceux qui ont passé un oral le savent, le trac peut amener à des lapsus, des résurgences d’oralité usuelle, de culture ou d’origine personnelle.

Cela ne fait pas de ces candidats émotifs de mauvais éléments. Moi aussi, Picard, j’aurais pu faire ce lapsus...Dans notre histoire, cette jeune femme n’aurait jamais pu aller jusqu’à ce niveau d'études si elle n’avait pas connu la conjugaison des verbes usuels français.


Cette jeune fille qui aurait pu être ma mère était seulement d’origine paysanne et n’avait pas la modestie des puits de science qu’elle avait en face d’elle.


L’histoire ne dit pas si la demoiselle s’est représentée l’année d’après… Je ne le pense pas. Peut-être le cours de son existence a-t-il été modifié pour une langue qui a fourché. Mais l'histoire dit bien la morgue des pontes. Cela dit bien aussi que la peur du pauvre cultivé a plus de conséquences que la haine du riche ignorant.

Ce jour-là, ce sont eux... qui auraient dû sorteoir !

lundi 18 novembre 2013

Commico Squatt' (en compétition pour la Nouvelle Edilivre 2014)

J'ai été ému de savoir que des citoyens à Paris plutôt jeunes et dans une situation précaire investirent un local public désaffecté et s'en trouvèrent délogés manu-militari.

J'en ai retiré une nouvelle qui entrait assez bien dans le cadre du concours Edilivre 2014 de la nouvelle sur le thème du Pouvoir. Ce texte concourt donc, qui n'est que la traduction personnelle de cet épisode vécu par le CoOlectif du bonheur.

Voici ma fiction, et ci-après, la vidéo des événements.

 Commico Squatt'


- Paris, XVIII°.

- Siècle ?
- Arrondissement…


Antonin Sire, porte-parole du collectif «Associations d’idées» s’accrochait à la rampe d’escalier, tenaillé par deux agents. Face à l’impuissance des pouvoirs publics à fournir un peu d’espace, son collectif clamait « Nous, on peut ! ». Ils purent alors occuper les locaux d’un vieux commissariat désert en plein Paris. Mais le conte de noël où Antonin avait emmené ses amis se terminait là où il avait commencé. Son portable, lui, demeurait aussi en garde-à-vue pour identification…


Mais reprenons le cours du récit : Il est tard, l’hiver est glacial. Les agents ont froid et n’ont qu’une idée en tête : pénétrer. Réinvestir ce commissariat occupé, restaurer le primat du beau, du bon, du bien. Reprendre l’espace occupé par des squatteurs, le bien de la république, mesdames-messieurs. En haut lieu, les sphères du pouvoir s’entrechoquent, mais en silence. Toujours. Préfet et Procureur se disputent le Droit. Deux chiffonniers en habits feutrés :


- Les squatteurs sont réfugiés dans l’espace de la république depuis plus de quarante-huit heures, M. Le Préfet, vous n’avez pas le pouvoir d’intervenir, et ils restent sous mon autorité.

- Pensez aux répercussions médiatiques, M. Le Procureur, les jeunes ont les rieurs de leur côté.

- Vous connaissez donc leur âge ?

- Non, mais je disais «jeunes», comme ça… imaginez-vous que le Pouvoir soit plus longtemps moqué, et par une bande de squatteurs qui croit au Père-noël en plus, qui voudrait... se réchauffer dans un commissariat, non…



L’autorité, dans un geste fumant, fait alors déplacer quatre fourgons de tortues romaines, carapaçonnées, en formation. Des stagiaires qui squattent un scaphandre, jusqu’à nouvel ordre. Mais l’ordre ne vient pas, et le froid saisit les fonctionnaires aux commissures. Il s’en plaignent.

Au cours de ces deux jours où tout allait pour eux comme en rêve, le collectif des «Associations d’idées» organisait son ministère à l’intérieur : tableaux, café, bureaux, trombones pour la fanfare. Tout marchait. L’eau, le chauffage. On avait même installé un baisodrome dans la salle d’interrogatoire. Quand on a le luxe, pourquoi pas la luxure…

Au plus fort de la confrontation, l’association, toujours soucieuse d’humanité partagée, fit porter au-dehors par la fenêtre entr’ouverte quelques plateaux pour les agents torturés par la glace, immobiles devant le portail fermé. Le gôuter de café et de croissants chauds fut accueilli par quelques bravos républicains, vite réprimés. À travers l’huis de la porte, le négociateur finit par demander poliment la clef du commissariat aux jeunes du collectif, la hiérarchie ayant perdu les doubles…

S’engage alors, comme toujours en pareil cas, un véritable bras-de-fer, avec exigences et garanties, pressions psychologiques et ultimatum de part et d’autre. Les clefs pour les uns, de l’espace et la liberté pour les autres. Pour lesquels, allez savoir. L’association se trouvait enfermée à l’intérieur par la police qui, elle, se trouvait expulsée. Laissez-nous sortir ! Laissez nous rentrer ! Les deux parties, chacune de leur côté, pensaient à invoquer l’article 432 pour « privation arbitraire de la liberté de circuler »... La situation devenait homérique.

À dix-sept heures incandescentes, voyant que la nuit allait tomber et faire sortir les premiers loups de leur tanière, on fit venir un bélier. Sur ordre du Préfet contre celui du Procureur, le pouvoir impuissant envoie les forces de l’ordre : elles pénètrent le commico par effraction.

On avait rarement vu tel acharnement et tel plaisir à la tâche contre un bâtiment de la police. Un défonçage réalisé avec netteté et précision. Du grand art dans la reprise en main des locaux, propriété de tous. D’abord, se jeter sur les portables. Ils recèlent plus d’informations que tous les interrogatoires ne pourraient en livrer. On pourrait même à l’occasion jouer à Drive-circuit avec les Iphone saisis, si ça durait encore. Une jeune femme rétive, qui n’avait pas éteint le sien, est alors alpaguée par une tortue et se fait démonter l’épaule. En douceur toutefois, par égard pour son sexe. Le service public se muait en sévice public. Vol avec violences en réunion, dégradations du matériel de l’Etat... les chefs d’inculpation s’alourdissaient d’heure en heure pour tout magistrat dont les dents rayeraient le parquet. Le vieux commissariat de quartier, de désaffecté à défoncé, rouvrait. Coûte que coûte, même dans l’illégalité, et c’est ce qui importait. La commissaire exultait. De la proximité !

Au Quai, même les chaises avaient la gueule défoncée de ceux qui entament leur troisième journée de garde-à-vue. La noria des équipes de relève donnait l’illusion que des bataillons de milliers de képis se succèdent ici jour et nuit et passent d’une tête à l’autre. Seules les impatiences des enfants perdus redonnaient à cette drôle de crèche des couleurs chatoyantes. Sûr de son fait, légitime comme un pape, Antonin Sire ne regardait ni les marches ni les murs cradingues qui lui bornaient l’horizon et le menaient aux cellules où tant d’autres avait dégrisé. Il ne voyait que son œuvre de salubrité publique. Le pouvoir des citoyens sur leur cadre de vie.

Il avait régné, dans son commissariat du XVIII°, recyclé en Maison du peuple avant que l’escadron ne débarque les pacifistes subversifs, une ambiance bon enfant ; à laquelle le craquement subit d’une porte volant en éclats mit fin. Situé le long d’un petit canal parisien, on y entrait libre pour assouvir une envie des grands soirs, dans ce commissariat où la possibilité du bonheur reprenait ses droits. Croyait-on… Ce joyeux local investi par des fauteurs d’ordre public établi, était d’un tout autre acabit que le 36 quai des orfèvres. Il résistait, délaissé mais ouvert, vaillant, beau comme une cabane de garde-champêtre, où fleurs et champignons remplaçaient avec bonheur graffitis et chewing-gum collés. Tout en cette bâtisse exhalait un parfum de vieille dame presque moisie, qui aurait bien vécu. Drames et joies, démissions, soirées au champagne, visites inopinées des huiles dans le fracas des drapeaux. Le petit escalier, l’épaisseur des couches de peinture ajoutées les unes aux autres, la chaleur des boiseries, la façon «maison» des murs tout de guingois, les vitres années 50, soufflées à la main, les chevillettes plus âgées encore que les services historiques, conféraient à cet ensemble un air de famille propice aux confidences librement consenties.

Détenu au «36», Antonin Sire avait beau convoquer toutes les ressources de son esprit, il n’avait pu passer par l’arrière-cour de ce décor de polar sans être saisi par le dégoût des effluves où domine le concours des misères humaines les plus crasses. Il y reconnut la moiteur des nuits sans espoir de soleil, des espérances déçues de ceux qui ont perdu leurs clefs. Ici, faire la lumière sur les faits commençait par l’obscurité. Celle des puits, aux rares soupiraux, exerçait sur les yeux une mise en condition préalable. Nul peintre n’y avait jamais officié. D’odeur, aucune où raccrocher un sentiment de vie. Nul chef n’y avait jamais été formé. Le 36 était une sorte d’hôpital où l’on pouvait même se blesser.

Il avait fallu la grâce d’un lieutenant-major pour que la discussion avec les autorités reprissent une tournure normale. Il avait compris. Ne pas haïr. Comprendre les deux parties. La situation était nouvelle pour tout le monde et il valait mieux que tout cela ne se sache pas. Et puis, à Noël… pas de bavure.

L’opération s’était achevée normalement à la fois sous les acclamations du crémier et sous les sifflets de la population divisée du quartier. La bouchère nymphomane et l’instituteur à poils longs ne produisaient pas le même son. Le livreur de pizza avait préféré passer sa route avec célérité, craignant pour sa marchandise. Le pouvoir avait mis les points sur les i. Il ne vacillait pas sur ses assises, la force restait à l’Etat, le dernier mot revenait à l’ordre. La loi, en bonne fille, saurait fermer les yeux. On rentrait chez soi... l’hiver sonnait aux clochers jaunis.
___________________________________©BenoîtRivillon2013____________


mercredi 6 novembre 2013

Perspectives : du chemin de l'école à la dette


Deux documentaires sortent au cinéma cet automne, "La Dette" de Sophie Mitrani et Nicolas Ubelman et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson.


"La Dette" va faire un carton parmi les associations et autres réseaux comme Roosevelt, Utopia, et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson aura du succès parmi les pédago, les instituteurs et professeurs de collèges en tête. L'un est bien distribué, et soutenu par l'Unesco, et l'autre plus modestement distribué par une coopérative et une poignée de donateurs anonymes.

Ces deux films nous placent face à deux messages totalement contraires : 
  • "nos efforts collectifs sont voués à l'échec" (La Dette)
  • "l'effort individuel est récompensé" (Sur le Chemin de l'école) 

"La Dette", fruit d'un labeur de trois ans de recherches et de nombreuses rencontres de personnalités, expose comment nos démocraties en sont arrivées à être court-circuitées par une économie fallacieuse qu'il convient d'appeler "économie de la dette", et quel est ce circuit qu'emprunte l'argent, circuit rarement dévoilé... Vous le savez assez,  il faudrait réduire les dépenses pour payer la dette. Les documentaristes s'attardent sur la logique de l'argument pour en vérifier la solidité ; et là, ça craque assez vite.

Le rare mérite de ce documentaire est d'être allé replacer les maux contemporains de nos équilibres budgétaires dans la perspective historique des rapports entre Banque et Etat, et de forcer le spectateur à réfléchir par lui-même en l'instruisant. Nombreux étaient ceux qui, parmi ceux de l'Espace St Michel qui ont assisté à la sortie du film en primo projection avec les réalisateurs, y avaient appris que l'argent d'un crédit prêté par votre banque vient d'être créé par son écriture-même !

(produit par association (Régie Sud), La Dette est distribué par Direction Humaine des Ressources 
et sorti dans 7 salles en France.
Pour voir ou organiser la projection du documentaire, vous pouvez contacter le distributeur .)

Au bout de tous ces chiffres, le mirage de l'argent-dette produit donc une absence de perspective, et se dresse devant nous autres, habitants des régions développées du monde où le chômage plane, où ses causes "structurelles" découragent le sens de l'effort des adultes comme des enfants, nous dressent les uns contre les autres dans une concurrence partout glorifiée, où même l'école est un marché à conquérir, s'il n'est déjà conquis. L'esprit des spectateurs encore étourdis par la richesse des points de vue exposés dans La Dette, mais mal préparés par la vision de ce spectre quotidiennement brandi, se demande alors : comment sortir la tête de l'eau sous ce joug permanent ?

C'est à une refondation de notre pacte social et démocratique que les conclusions aboutissent, replaçant l'argent comme un bien commun capté et capturé. On note au passage les brillantes explications de l'économiste Benjamin Coriat, moins connu que Bernard Maris et des critiques portées au monde de la finance par un Pascal Canfin, pas encore Ministre au moment du tournage, pas encore réduit au silence, en bon Vert de gouvernement qu'il est.

Dans nos pays sclérosés par leur dette publique, nos collectivités n'auront bientôt plus les moyens d'assurer une école au niveau où nos pays l'exigeraient... Ah, c'est déjà le cas ? On se le dit quand on voit la fuite de nombreux enfants vers les écoles privées. La marchandisation des savoirs et de la culture fera basculer la dette publique au service des dettes privées (qui sont en France, rappellons-le, 4 fois supérieures à la dette publique : sept mille milliards d'€). Même si ça n'est pas le sens que les réalisateurs ont voulu donner à leur ouvrage, je me dis que nos efforts collectifs passés passent au bénéfice de quelques unes (ex. le marché juteux de l'électricité) et que nos efforts présents sont voués à l'échec (le cas de la Grèce est exemplaire).


Sur le chemin de l'école, l'effort individuel est récompensé

Profusion de perspectives au contraire pour ces quatre enfants suivis par Pascal Plisson sur les chemins de leur école, tant en Argentine qu'au Maroc, au Kenya ou en Inde. Leurs obstacles à eux sont naturels, et se dressent devant tous, quand ici les montagnes s'aplanissent pour certains...

Ces enfants pleins d'énergie, revigorés par le chaotique et froid chemin des montagnes, par leur longue marche au grand air des pampas et de la savane (on pense alors aux pauvres poumons de nos petits parisiens qui partent le matin... toussez svp), pour qui l'école signifie bien une précieuse conquête, pour qui l'effort est encore récompensé, ont devant les yeux le rêve de leur vie.

Sur le chemin de l'école, de Pascal Plisson, 2013


Ce qu'on perçoit du film, c'est que par ce chemin, sur ce chemin, long, difficile, caillouteux, il y a la solidarité, l'école de la vie. Il est en soi une école, ce chemin. Il est frappant de voir le développement physique de nos bambins marcheurs, ou cavaliers, comme ce petit Carlos, Argentin de dix ans pour qui la sellerie de cheval n'a aucun secret et qui veut devenir ingénieur agronome ; cette jeune marocaine du même âge qui franchit les cols avec ses camarades, qui requièrent l'aide d'habitants pas toujours solidaires des écolières.

Cela tranche assez avec le cliché du d'jeun's décrit dans la célebre pub "animalière" pour La Poste ou encore le spectacle télévisuel du fils de bourge parvenu qui dit n'avoir rien appris à l'école (peut-être parce qu'il était inutile d'y apprendre quelque chose tant son insertion sociale ou ses moyens de subsistance étaient assurés d'emblée).

Là, on assiste au parcours de ces gosses, au sens physique et symbolique du terme, à la réussite de ces enfants-là et l'on se dit qu'après tant de peine endurée il n'y a pas d'échec possible. 
 
De prime abord, on aura de la compassion pour ces quatre enfants, car après tout, c'est bien le sens du film, il y a bien dans le monde 100 millions d'enfants de plus de 5 ans qui travaillent dans des mines de kaolin, dans des usines de bijoux, aux basses-fosses des méthaniers... Mais ensuite, on a de l'envie : eux quatre, pour qui le chemin agit comme une pédagogie au sens premier du terme, sont encore au contact de choses fondamentales, de la nature, du danger (n'y a-t-il pas plus initiatique que ça ?) Apprendre en faisant, en marchant, en découvrant, apprendre avec le corps, tout ce qu'on a oublié... En marchant, en allant là-bas s'instruire auprès d'un maître respecté et obéi, ils prennent leur destin en main ; ce sont quatre enfants qu'on peut finalement et malheureusement qualifier de privilégiés. Le film embue nos yeux lors de ces quatre insertions de paroles d'enfants, à la toute fin d'un film quasiment muet.

Je ne suis pas absolument pas accord avec la critique blasée par sa soirée de projo-presse de la journaliste Louise Tourret (Slate) qui aurait voulu voir un Envoyé Spécial et a vu un documentaire de cinéma. Car ce film pour une fois silencieux (!) minimaliste, sans didactisme aucun, donne à voir, et nous renvoie à nous-mêmes. En particulier aux problèmes endurés par tous les profs de nos terroirs... (toussez encore, svp)
 
Au sortir de la projection de ces deux films dans la même semaine on peut avoir un beau panorama de l'état du monde en 2013. Entre ceux qui pensent que nos lendemains refleuriront sur les ruines et ceux qui pensent que tout est encore à construire, ceux qui ont simplement espoir et ceux qui commencent à le perdre, ces deux films se parlent.

"Sur le chemin de l'école" est très consensuel. Il a d'ailleurs été présenté en grande pompe à l'institut du Monde Arabe devant un parterre de journalistes et de politiques. Il devrait avoir un beau succès d'ici quelques années dans toutes les écoles de France et même au-delà, vous pouvez en être sûrs (c'est le bon coup qu'a su flairer Disney France, son distributeur, sinon un tel format de documentaire, sans commentaire, aurait plutôt trouvé son chemin dans les petites salles indépendantes dites d'art et d'essai).

"La Dette" est un documentaire clairement clivant et didactique. 
Il a cette capacité d'informer en semant le trouble dans l'ordre public. Il entend remettre "le hold-up du siècle" au cœur du débat dont les citoyens de tous les pays du monde devraient se saisir. Il mérite d'être vu, diffusé, et mis en avant dans les medias. Mais je ne suis très pas optimiste quant au courage de ces mastondontes à affronter de plein-fouet leurs contradictions et la vacuité de leurs sempiternels arguments-revolver ! 
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 liens annexes

http://www.bastamag.net/article3259.html

http://www.le-telecharger.com/telecharger-la-dette-2/

vendredi 18 octobre 2013

D'un rideau de fer l'autre

Paris, Café de Flore, octobre 2013. Photo Eliette Abécassis.

Ce billet est rédigé sur mon blog littéraire parce qu'une écrivaine en a été l'étincelle. Eliette Abécassis.

Elle prit hier soir cette photo dans les rues de Paris. Cette famille dort dans la rue à côté des belles gens du café de Flore.

Cela fait plusieurs mois que cette famille est là, et j'atteste avoir vu M. Cambadélis qui sortait du siège du P.S un soir les regarder tout en continuant sa discussion l'oreille collée au portable, il était vers 23 h 30 en juin 2013. Qu'il me dise le contraire les yeux dans les yeux. S'en souvient-il, au moins ?




Eliette Abécassis a une certaine aisance, elle publie depuis vingt ans des livres qui se vendent bien, son éditeur est sûrement encore plus fortuné mais baste ces considérations, elle choisit en personne humaine d'appeler le Samu qui n'intervient pas dans ces cas. Les pompiers ont accepté d'acheminer cette famille vers un hôtel pour lequel Eliette Abécassis leur a payé de sa poche 3 nuits d'hôtel. sur Facebook elle a posté cette photo et le lien vers le site Leetchi. (Personnellement, j'ai déjà "donné" 450 euros cette année à deux petites sauvageonnes qui se sont jetées sur mon distributeur de billets dans la rue.)

Merci donc à Eliette pour ces personnes humaines fragiles qui ont eu la chance de rencontrer une autre personne humaine. 

Son initiative est très louable, mais la question se pose : Pour quoi paie-t-on encore des impôts ? Faut-il qu'on soit fatalement réduits à espérer que se mette en place la charité, alors qu'on vit dans un pays qui dégage 2 Trillions d'€ par an de richesses, dont 180 milliards vont aux seuls salaires et 300 milliards aux dividendes des actionnaires ? 

Ce sont nos dirigeants qui doivent se sentir coupables. Envoyons cette photo à tous les cabinets ministériels, à Matignon, et à l'Elysée en leur demandant s'ils n'auraient pas dans cette occurrence une responsabilité historique...

Après tout, ils consentent à ce que la totalité de notre Impôt sur le Revenu aille au remboursement de la dette publique aux banques privées (50 Milliards d'euros/an); Honte à eux ! Et pitié pour les pauvres que nous serons peut-être demain !

Je viens justement de finir le livre de Maxim Leo. La collection Lettres Allemandes que dirige Mme Martina Wachendorff (Acte Sud) nous propose un témoignage au titre simple de "Histoire d'un Allemand de l'Est" (urtittel "Haltet euer Herz bereit. Eine ostdeutsche Familiengeschichte"), déjà traduit en anglais par Red love... (tradutore traditore... )

Le sujet en est le parcours de deux familles mi-juives qui ont résisté sous Hitler, vécu en DDR, et de ce garçon qui n'eut pas en 1989, face aux Vopo, la moitié du courage de ses aïeux et qui le dit.
Ce récit de famille s'appuie non seulement sur les mémoires personnelles de Maxim Leo, Ostie avant de devenir Westie, mais aussi sur les écrits familiaux restés impubliés ou publiés de faits de guerre, et de vie sous le régime de la DDR (Deutsche Demokratische Republik). 

Bien des passages pittoresques émaillent ce récit issu de ses archives personnelles, et aussi de situations cocasses où, un temps jusqu'à 1961, certains Berlinois ont choisi de passer la frontière du secteur Ouest de Berlin pour sortir de ce quartier dit libre mais enserré, pour s'installer à l'Est, ce qu'on ne décrit jamais...

Mais voilà encore un livre de plus, écrit par un journaliste de renom en Allemagne (chroniqueur de Der Spiegel) qui nous convainc de l'inanité du système autoritaire stalinoïde qui sévit en RDA, mais qui ne fait en aucun cas, et c'est tout le second volet auquel on exhorte l'auteur de se livrer, un témoignage contemporain sur l'évolution de son pays (côté ex-Est) depuis 1989, et au-delà de son pays.

Or, j'en reviens à cette famille sauvée pour 3 jours par une écrivaine française de renom. Souvenons-nous : il fallait donc à tout prix endiguer le communisme n'est-ce pas ? Faire tomber le mur de Berlin ? Sans surtout mettre en place de républiques sociales dans les pays de l'Est démantelés ? "Intégration européenne" disait-on, horizon de lait et de miel, non ?

20 ans après, on voit physiquement les effets de cette histoire dans nos rues de Paris, et ironie cruelle, au pied des établissements de luxe. 

Cette famille apparemment immigrée de l'est (Roumaine, Bulgare, Kosovare, allez, trève de pudibonderie) est une des millions de victimes de ce fanatisme euro-américain, drapé de l'épithète mélioratif "libéral". 

Des choses comme ça à nous faire regretter le "mur de la honte" et le "rideau de fer". 
Aujourd'hui c'est sont ces plus pauvres de l'est qui dorment dans le froid contre les rideaux (de fer) des magasins et ce sont nos riches murs (de la honte) qui abritent ces pauvres gens.

vendredi 19 juillet 2013

Citer Roland Barthes

"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.
 
La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté.“
 
Roland  Barthes. 




"Écrire c'est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indirecte, à laquelle l'écrivain, par un dernier suspens, s'abstient de répondre.

La réponse, c'est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté."

Roland Barthes.

dimanche 7 juillet 2013

Superman désenchanté






Superman, le film, en 1979 a été pour moi un moment de merveilleux dans ma vie. J'avais tout juste onze ans. Pour le petit garçon que j'étais, qui n'allais pas souvent au cinéma car c'était trop cher, le spectacle de la puissance incarnée, qu'elle soit physique ou spirituelle, qu'elle soit politique, avait quelque chose de fascinant.


Me revoilà donc saisi de nostalgie, car il n'est pas sûr que je fusse motivé à dépenser 10 € 70 cts (pour 68 Francs à l'époque on avait deux albums 33 tours) si je n'avais été autrefois le spectateur ébaubi, pleurant de joie aux exploits humanitaires de Superman, et qui fus bien déçu par ailleurs de savoir qu'il s'appelait en fait Christopher Reeves. Car je croyais à Superman.Tout comme si le Père Noël s'était appelé Bertrand Lajoie. Je pouvais me rappeler toutes les scènes du film tant l'identification avait été forte. Le spectacle de la virilité, façon Casques-bleus, décillaient mes yeux naïfs ; et les américains ont à peu près tous onze ans, de ce point de vue...


En cet été 2013, je voudrais bien savoir comment un enfant de onze ans peut regarder ce film et s'identifier à ce super-héros, sans être pris des nausées qu'on ressent après une orgie de sucre. La musique du film n'est qu'une bande-son cosmétique à côté de l'orchestre de Williams en 1979. Le scénario s'est voulu novateur du point de vue de la psychologie du protagoniste, un peu plus fouillée que dans l'original. Clark Kent torturé, est conscient de la mission colossale qui pèse sur ses épaules larges et mieux body-buildées que chez le créateur du rôle. 


Le montage résolument moderne, entendez hystérique, avec des effets spéciaux à profusion et une succession de séquences sur les vingt premières minutes du film. Tellement que lorsqu'on arrive sur Terre avec des plans de plus de 3 secondes, on croit respirer à un rythme normal. Le jeu des acteurs millimétrés est clinique. Tant que l'on se demande si ce sont bien des acteurs qui jouent ou des images de synthèse qu'on fait jouer. Tant et tant de travellings et d'effets de profondeur spectaculaires que l'on se demande, au fond, si l'on n'est pas plutôt en train de mater un jeu vidéo... 


Est-ce encore du cinéma ? (Ai-je l'air d'un vieux con ?)

Voilà peut-être, hélas, la nouvelle loi du genre contemporain, qui dresse d'abord un film au rang de bonne soupe recyclable pour ses investisseurs financiers. La forme prédomine alors tellement sur le fond et celle-ci est ainsi colorée et mouvementée que l'identification devient impossible. Elle laisse à bonne distance même les plus adhérents, comme moi. Quelle est encore la part du rêve, l'espace du spectateur, le respect de son imagination ?


Du fascinant au fascisant

Sur ce fond inexistant et même régressif, où l'humanité est réduite à dépendre d'un messie pour résoudre ses problèmes de sécurité, j'oserai dire que ce Superman-là, Man of Steel, aux allusions bibliques plus explicites (on adore les vitraux appuyés, derrière le curé, où l'on a loisir de contempler des pans entiers de la vie de Jésus) et à la narration ô combien plus téléologique que l'original, que malgré tous ces efforts d'humanisation du personnage qu'on sent bien, il y a là quelque chose de fascisant sur la forme. Surenchère de démonstrations de puissance, destruction permanente d'un monde qui paraît bien menacé alors que l'Armée et sa capacité technologique y est omniprésente.

Le scénario confié à M. Nolan, très en veine en ce moment, ne doit pas être très épais, car les séquences de batailles rangées où les coups et les tirs sont offertes au kilomètre.


Umberto Eco a raison de rappeler dans son article "Les forteresses de la solitude"*, que Superman a besoin de temps en temps de se retrouver dans son repaire, revoir les objets témoins de son histoire, un musée personnel de glace où personne ne peut aller. Or, ce temple est immédiatement profané dans le film de Zack Snyder...

Le co-protagoniste Général Zod, on le sait depuis la première séquence sur Krypton, est méchant. Il a admiré le père de Kal-el, Jor-el, mais il l'a tué et a été condamné (ce qui est mieux amené que dans le premier film où tout cela restait ésotérique dans la séquence fameuse avec Marlon Brando.) Il fera obstacle aux destinées de Kal-el sur terre, c'est annoncé et on n'est pas surpris. Tout est mâché on vous dit, ne réfléchissez plus. L'obstacle Zod est tragiquement victime de son destin, ou de sa programmation génétique, alors que Superman lui a réussi par l'adoption des terriens qui l'aiment, à dépasser sa destinée première et ses origines ; ça c'est beau, mais il faut gratter. 

Pessimisme encore car nulle médiation possible avec des extra-terrestres prompts à demander la reddition en guise de bonjour. On comprend vite aussi, à voir la gueule des militaires américains toujours au premier plan, que tous les terrestres ne sont pas non plus extra ! Trève de plaisanterie, dans les dialogues on entend même des refrains tristement célèbres du genre "...pour un seul que tu sauveras, on en tuera des millions...", qui nous les fait entendre comme certains slogans entendus de part et d'autre du Mur de sécurité. 

La musique de John Williams en 1979, je le sais aujourd'hui, avait été honteusement pompée sur le "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss ; mais cela avait un sens plus spirituel, via le surhomme Nietzchéen. Restée célèbre, elle avait laissé une empreinte fort durable dans mon esprit, alors que je ne l'avais entendue qu'une fois. Pas de magnétoscope à cette époque-là ni de B.O disponible dans les bacs.

Donc oui, fascisant, ou tout au moins martial et total paranoïde. 

L'Autre, l'Etranger, l'extra-terrestre, est une menace mortelle qu'il faut anéantir. Un virus. Pas l'ombre d'une quelconque "humanité" ni de lumière dans les yeux des ennemis, à aucun moment, si ce n'est la lumière bleue qui découpe le métal.

Bonjour vous, petits enfants qui êtes égarés dans cette salle, préparez-vous à affronter ce monde violent ! Les images et la bande-son, assourdissante, tonitruante, s'il en fallait une, le disent. Rien n'est doux, tout est rapide, le ryhtme est d'enfer. De toute façon, vous êtes habitués...

Une chose est sûre, si j'avais vu Man of Steel en 1979, j'aurais fait des cauchemars pour des années.


*Eco : La Guerre du faux, Grasset, 1985, Livre de poche


* Je ne saurais trop conseiller aux exploitants de salles de ne pas toujours utiliser leurs amplificateurs à leur maximum, à moins qu'il ne veuillent se spécialiser, dans un futur proche, dans l'accueil des spectateurs malentendants ; et ça, ça ne sera pas de la science-fiction.

Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017