lundi 18 novembre 2013

Commico Squatt' (en compétition pour la Nouvelle Edilivre 2014)

J'ai été ému de savoir que des citoyens à Paris plutôt jeunes et dans une situation précaire investirent un local public désaffecté et s'en trouvèrent délogés manu-militari.

J'en ai retiré une nouvelle qui entrait assez bien dans le cadre du concours Edilivre 2014 de la nouvelle sur le thème du Pouvoir. Ce texte concourt donc, qui n'est que la traduction personnelle de cet épisode vécu par le CoOlectif du bonheur.

Voici ma fiction, et ci-après, la vidéo des événements.

 Commico Squatt'


- Paris, XVIII°.

- Siècle ?
- Arrondissement…


Antonin Sire, porte-parole du collectif «Associations d’idées» s’accrochait à la rampe d’escalier, tenaillé par deux agents. Face à l’impuissance des pouvoirs publics à fournir un peu d’espace, son collectif clamait « Nous, on peut ! ». Ils purent alors occuper les locaux d’un vieux commissariat désert en plein Paris. Mais le conte de noël où Antonin avait emmené ses amis se terminait là où il avait commencé. Son portable, lui, demeurait aussi en garde-à-vue pour identification…


Mais reprenons le cours du récit : Il est tard, l’hiver est glacial. Les agents ont froid et n’ont qu’une idée en tête : pénétrer. Réinvestir ce commissariat occupé, restaurer le primat du beau, du bon, du bien. Reprendre l’espace occupé par des squatteurs, le bien de la république, mesdames-messieurs. En haut lieu, les sphères du pouvoir s’entrechoquent, mais en silence. Toujours. Préfet et Procureur se disputent le Droit. Deux chiffonniers en habits feutrés :


- Les squatteurs sont réfugiés dans l’espace de la république depuis plus de quarante-huit heures, M. Le Préfet, vous n’avez pas le pouvoir d’intervenir, et ils restent sous mon autorité.

- Pensez aux répercussions médiatiques, M. Le Procureur, les jeunes ont les rieurs de leur côté.

- Vous connaissez donc leur âge ?

- Non, mais je disais «jeunes», comme ça… imaginez-vous que le Pouvoir soit plus longtemps moqué, et par une bande de squatteurs qui croit au Père-noël en plus, qui voudrait... se réchauffer dans un commissariat, non…



L’autorité, dans un geste fumant, fait alors déplacer quatre fourgons de tortues romaines, carapaçonnées, en formation. Des stagiaires qui squattent un scaphandre, jusqu’à nouvel ordre. Mais l’ordre ne vient pas, et le froid saisit les fonctionnaires aux commissures. Il s’en plaignent.

Au cours de ces deux jours où tout allait pour eux comme en rêve, le collectif des «Associations d’idées» organisait son ministère à l’intérieur : tableaux, café, bureaux, trombones pour la fanfare. Tout marchait. L’eau, le chauffage. On avait même installé un baisodrome dans la salle d’interrogatoire. Quand on a le luxe, pourquoi pas la luxure…

Au plus fort de la confrontation, l’association, toujours soucieuse d’humanité partagée, fit porter au-dehors par la fenêtre entr’ouverte quelques plateaux pour les agents torturés par la glace, immobiles devant le portail fermé. Le gôuter de café et de croissants chauds fut accueilli par quelques bravos républicains, vite réprimés. À travers l’huis de la porte, le négociateur finit par demander poliment la clef du commissariat aux jeunes du collectif, la hiérarchie ayant perdu les doubles…

S’engage alors, comme toujours en pareil cas, un véritable bras-de-fer, avec exigences et garanties, pressions psychologiques et ultimatum de part et d’autre. Les clefs pour les uns, de l’espace et la liberté pour les autres. Pour lesquels, allez savoir. L’association se trouvait enfermée à l’intérieur par la police qui, elle, se trouvait expulsée. Laissez-nous sortir ! Laissez nous rentrer ! Les deux parties, chacune de leur côté, pensaient à invoquer l’article 432 pour « privation arbitraire de la liberté de circuler »... La situation devenait homérique.

À dix-sept heures incandescentes, voyant que la nuit allait tomber et faire sortir les premiers loups de leur tanière, on fit venir un bélier. Sur ordre du Préfet contre celui du Procureur, le pouvoir impuissant envoie les forces de l’ordre : elles pénètrent le commico par effraction.

On avait rarement vu tel acharnement et tel plaisir à la tâche contre un bâtiment de la police. Un défonçage réalisé avec netteté et précision. Du grand art dans la reprise en main des locaux, propriété de tous. D’abord, se jeter sur les portables. Ils recèlent plus d’informations que tous les interrogatoires ne pourraient en livrer. On pourrait même à l’occasion jouer à Drive-circuit avec les Iphone saisis, si ça durait encore. Une jeune femme rétive, qui n’avait pas éteint le sien, est alors alpaguée par une tortue et se fait démonter l’épaule. En douceur toutefois, par égard pour son sexe. Le service public se muait en sévice public. Vol avec violences en réunion, dégradations du matériel de l’Etat... les chefs d’inculpation s’alourdissaient d’heure en heure pour tout magistrat dont les dents rayeraient le parquet. Le vieux commissariat de quartier, de désaffecté à défoncé, rouvrait. Coûte que coûte, même dans l’illégalité, et c’est ce qui importait. La commissaire exultait. De la proximité !

Au Quai, même les chaises avaient la gueule défoncée de ceux qui entament leur troisième journée de garde-à-vue. La noria des équipes de relève donnait l’illusion que des bataillons de milliers de képis se succèdent ici jour et nuit et passent d’une tête à l’autre. Seules les impatiences des enfants perdus redonnaient à cette drôle de crèche des couleurs chatoyantes. Sûr de son fait, légitime comme un pape, Antonin Sire ne regardait ni les marches ni les murs cradingues qui lui bornaient l’horizon et le menaient aux cellules où tant d’autres avait dégrisé. Il ne voyait que son œuvre de salubrité publique. Le pouvoir des citoyens sur leur cadre de vie.

Il avait régné, dans son commissariat du XVIII°, recyclé en Maison du peuple avant que l’escadron ne débarque les pacifistes subversifs, une ambiance bon enfant ; à laquelle le craquement subit d’une porte volant en éclats mit fin. Situé le long d’un petit canal parisien, on y entrait libre pour assouvir une envie des grands soirs, dans ce commissariat où la possibilité du bonheur reprenait ses droits. Croyait-on… Ce joyeux local investi par des fauteurs d’ordre public établi, était d’un tout autre acabit que le 36 quai des orfèvres. Il résistait, délaissé mais ouvert, vaillant, beau comme une cabane de garde-champêtre, où fleurs et champignons remplaçaient avec bonheur graffitis et chewing-gum collés. Tout en cette bâtisse exhalait un parfum de vieille dame presque moisie, qui aurait bien vécu. Drames et joies, démissions, soirées au champagne, visites inopinées des huiles dans le fracas des drapeaux. Le petit escalier, l’épaisseur des couches de peinture ajoutées les unes aux autres, la chaleur des boiseries, la façon «maison» des murs tout de guingois, les vitres années 50, soufflées à la main, les chevillettes plus âgées encore que les services historiques, conféraient à cet ensemble un air de famille propice aux confidences librement consenties.

Détenu au «36», Antonin Sire avait beau convoquer toutes les ressources de son esprit, il n’avait pu passer par l’arrière-cour de ce décor de polar sans être saisi par le dégoût des effluves où domine le concours des misères humaines les plus crasses. Il y reconnut la moiteur des nuits sans espoir de soleil, des espérances déçues de ceux qui ont perdu leurs clefs. Ici, faire la lumière sur les faits commençait par l’obscurité. Celle des puits, aux rares soupiraux, exerçait sur les yeux une mise en condition préalable. Nul peintre n’y avait jamais officié. D’odeur, aucune où raccrocher un sentiment de vie. Nul chef n’y avait jamais été formé. Le 36 était une sorte d’hôpital où l’on pouvait même se blesser.

Il avait fallu la grâce d’un lieutenant-major pour que la discussion avec les autorités reprissent une tournure normale. Il avait compris. Ne pas haïr. Comprendre les deux parties. La situation était nouvelle pour tout le monde et il valait mieux que tout cela ne se sache pas. Et puis, à Noël… pas de bavure.

L’opération s’était achevée normalement à la fois sous les acclamations du crémier et sous les sifflets de la population divisée du quartier. La bouchère nymphomane et l’instituteur à poils longs ne produisaient pas le même son. Le livreur de pizza avait préféré passer sa route avec célérité, craignant pour sa marchandise. Le pouvoir avait mis les points sur les i. Il ne vacillait pas sur ses assises, la force restait à l’Etat, le dernier mot revenait à l’ordre. La loi, en bonne fille, saurait fermer les yeux. On rentrait chez soi... l’hiver sonnait aux clochers jaunis.
___________________________________©BenoîtRivillon2013____________


mercredi 6 novembre 2013

Perspectives : du chemin de l'école à la dette


Deux documentaires sortent au cinéma cet automne, "La Dette" de Sophie Mitrani et Nicolas Ubelman et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson.


"La Dette" va faire un carton parmi les associations et autres réseaux comme Roosevelt, Utopia, et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson aura du succès parmi les pédago, les instituteurs et professeurs de collèges en tête. L'un est bien distribué, et soutenu par l'Unesco, et l'autre plus modestement distribué par une coopérative et une poignée de donateurs anonymes.

Ces deux films nous placent face à deux messages totalement contraires : 
  • "nos efforts collectifs sont voués à l'échec" (La Dette)
  • "l'effort individuel est récompensé" (Sur le Chemin de l'école) 

"La Dette", fruit d'un labeur de trois ans de recherches et de nombreuses rencontres de personnalités, expose comment nos démocraties en sont arrivées à être court-circuitées par une économie fallacieuse qu'il convient d'appeler "économie de la dette", et quel est ce circuit qu'emprunte l'argent, circuit rarement dévoilé... Vous le savez assez,  il faudrait réduire les dépenses pour payer la dette. Les documentaristes s'attardent sur la logique de l'argument pour en vérifier la solidité ; et là, ça craque assez vite.

Le rare mérite de ce documentaire est d'être allé replacer les maux contemporains de nos équilibres budgétaires dans la perspective historique des rapports entre Banque et Etat, et de forcer le spectateur à réfléchir par lui-même en l'instruisant. Nombreux étaient ceux qui, parmi ceux de l'Espace St Michel qui ont assisté à la sortie du film en primo projection avec les réalisateurs, y avaient appris que l'argent d'un crédit prêté par votre banque vient d'être créé par son écriture-même !

(produit par association (Régie Sud), La Dette est distribué par Direction Humaine des Ressources 
et sorti dans 7 salles en France.
Pour voir ou organiser la projection du documentaire, vous pouvez contacter le distributeur .)

Au bout de tous ces chiffres, le mirage de l'argent-dette produit donc une absence de perspective, et se dresse devant nous autres, habitants des régions développées du monde où le chômage plane, où ses causes "structurelles" découragent le sens de l'effort des adultes comme des enfants, nous dressent les uns contre les autres dans une concurrence partout glorifiée, où même l'école est un marché à conquérir, s'il n'est déjà conquis. L'esprit des spectateurs encore étourdis par la richesse des points de vue exposés dans La Dette, mais mal préparés par la vision de ce spectre quotidiennement brandi, se demande alors : comment sortir la tête de l'eau sous ce joug permanent ?

C'est à une refondation de notre pacte social et démocratique que les conclusions aboutissent, replaçant l'argent comme un bien commun capté et capturé. On note au passage les brillantes explications de l'économiste Benjamin Coriat, moins connu que Bernard Maris et des critiques portées au monde de la finance par un Pascal Canfin, pas encore Ministre au moment du tournage, pas encore réduit au silence, en bon Vert de gouvernement qu'il est.

Dans nos pays sclérosés par leur dette publique, nos collectivités n'auront bientôt plus les moyens d'assurer une école au niveau où nos pays l'exigeraient... Ah, c'est déjà le cas ? On se le dit quand on voit la fuite de nombreux enfants vers les écoles privées. La marchandisation des savoirs et de la culture fera basculer la dette publique au service des dettes privées (qui sont en France, rappellons-le, 4 fois supérieures à la dette publique : sept mille milliards d'€). Même si ça n'est pas le sens que les réalisateurs ont voulu donner à leur ouvrage, je me dis que nos efforts collectifs passés passent au bénéfice de quelques unes (ex. le marché juteux de l'électricité) et que nos efforts présents sont voués à l'échec (le cas de la Grèce est exemplaire).


Sur le chemin de l'école, l'effort individuel est récompensé

Profusion de perspectives au contraire pour ces quatre enfants suivis par Pascal Plisson sur les chemins de leur école, tant en Argentine qu'au Maroc, au Kenya ou en Inde. Leurs obstacles à eux sont naturels, et se dressent devant tous, quand ici les montagnes s'aplanissent pour certains...

Ces enfants pleins d'énergie, revigorés par le chaotique et froid chemin des montagnes, par leur longue marche au grand air des pampas et de la savane (on pense alors aux pauvres poumons de nos petits parisiens qui partent le matin... toussez svp), pour qui l'école signifie bien une précieuse conquête, pour qui l'effort est encore récompensé, ont devant les yeux le rêve de leur vie.

Sur le chemin de l'école, de Pascal Plisson, 2013


Ce qu'on perçoit du film, c'est que par ce chemin, sur ce chemin, long, difficile, caillouteux, il y a la solidarité, l'école de la vie. Il est en soi une école, ce chemin. Il est frappant de voir le développement physique de nos bambins marcheurs, ou cavaliers, comme ce petit Carlos, Argentin de dix ans pour qui la sellerie de cheval n'a aucun secret et qui veut devenir ingénieur agronome ; cette jeune marocaine du même âge qui franchit les cols avec ses camarades, qui requièrent l'aide d'habitants pas toujours solidaires des écolières.

Cela tranche assez avec le cliché du d'jeun's décrit dans la célebre pub "animalière" pour La Poste ou encore le spectacle télévisuel du fils de bourge parvenu qui dit n'avoir rien appris à l'école (peut-être parce qu'il était inutile d'y apprendre quelque chose tant son insertion sociale ou ses moyens de subsistance étaient assurés d'emblée).

Là, on assiste au parcours de ces gosses, au sens physique et symbolique du terme, à la réussite de ces enfants-là et l'on se dit qu'après tant de peine endurée il n'y a pas d'échec possible. 
 
De prime abord, on aura de la compassion pour ces quatre enfants, car après tout, c'est bien le sens du film, il y a bien dans le monde 100 millions d'enfants de plus de 5 ans qui travaillent dans des mines de kaolin, dans des usines de bijoux, aux basses-fosses des méthaniers... Mais ensuite, on a de l'envie : eux quatre, pour qui le chemin agit comme une pédagogie au sens premier du terme, sont encore au contact de choses fondamentales, de la nature, du danger (n'y a-t-il pas plus initiatique que ça ?) Apprendre en faisant, en marchant, en découvrant, apprendre avec le corps, tout ce qu'on a oublié... En marchant, en allant là-bas s'instruire auprès d'un maître respecté et obéi, ils prennent leur destin en main ; ce sont quatre enfants qu'on peut finalement et malheureusement qualifier de privilégiés. Le film embue nos yeux lors de ces quatre insertions de paroles d'enfants, à la toute fin d'un film quasiment muet.

Je ne suis pas absolument pas accord avec la critique blasée par sa soirée de projo-presse de la journaliste Louise Tourret (Slate) qui aurait voulu voir un Envoyé Spécial et a vu un documentaire de cinéma. Car ce film pour une fois silencieux (!) minimaliste, sans didactisme aucun, donne à voir, et nous renvoie à nous-mêmes. En particulier aux problèmes endurés par tous les profs de nos terroirs... (toussez encore, svp)
 
Au sortir de la projection de ces deux films dans la même semaine on peut avoir un beau panorama de l'état du monde en 2013. Entre ceux qui pensent que nos lendemains refleuriront sur les ruines et ceux qui pensent que tout est encore à construire, ceux qui ont simplement espoir et ceux qui commencent à le perdre, ces deux films se parlent.

"Sur le chemin de l'école" est très consensuel. Il a d'ailleurs été présenté en grande pompe à l'institut du Monde Arabe devant un parterre de journalistes et de politiques. Il devrait avoir un beau succès d'ici quelques années dans toutes les écoles de France et même au-delà, vous pouvez en être sûrs (c'est le bon coup qu'a su flairer Disney France, son distributeur, sinon un tel format de documentaire, sans commentaire, aurait plutôt trouvé son chemin dans les petites salles indépendantes dites d'art et d'essai).

"La Dette" est un documentaire clairement clivant et didactique. 
Il a cette capacité d'informer en semant le trouble dans l'ordre public. Il entend remettre "le hold-up du siècle" au cœur du débat dont les citoyens de tous les pays du monde devraient se saisir. Il mérite d'être vu, diffusé, et mis en avant dans les medias. Mais je ne suis très pas optimiste quant au courage de ces mastondontes à affronter de plein-fouet leurs contradictions et la vacuité de leurs sempiternels arguments-revolver ! 
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 liens annexes

http://www.bastamag.net/article3259.html

http://www.le-telecharger.com/telecharger-la-dette-2/

Ma photo sur le chemin de Guernesey

Port de Guernesey Janvier 2017